"Let me introduce you to the family" : le titre d'une chanson des Stranglers... La famille, vaste sujet. Famille, je vous aime ? Famille, je vous hais ! On connait ces expressions devenues des clichés... Il y a aussi ceux que la famille indiffère ou qui indiffèrent leur famille. Et puis les personnes qui n'ont pas de famille, qui n'ont pas la chance d'avoir de parents ou qui a contrario n'ont pas la joie d'être orphelins comme l'avait joliment ironisé Jules Renard. Laissez moi donc vous présenter ma famille !...
La période des fêtes de fin d'année a cela de particulier que c'est un temps de retrouvailles familiales. Les Américains ont Thanksgiving... Nous, en Europe et particulièrement en France, nous avons Noël. La fête obligatoire. On se retrouve en famille, parfois avec des parfaits inconnus (parce qu'on ne se voit jamais et qu'on ne prend jamais le temps de bavarder en tête à tête), pour ressasser les vieilles histoires... Remarquez, la chanson dit "on choisit ses copains mais rarement sa famille" (je n'en suis d'ailleurs pas si sûr... dans quelle mesure le choix des copains n'est-il pas le fruit de notre éducation, de notre milieu socio-professionnel, de nos origines ?!) ... Et, si Noël est la fête familiale, le Réveillon du 31 est traditionnellement la fête des amis et, là aussi, on se force à se retrouver, parfois avec des amis devenus de parfaits inconnus, on évoque les souvenirs du bon vieux temps, au fur et à mesure des années la conversation vire de plus en plus au "café du commerce"...
Revenons à la famille... Laissez moi vous présenter ma famille... Non, je n'en parlerai pas plus que ça... De toute façon, j'ai jamais été très famille... Pour diverses raisons... Du côté maternel, j'avais un grand-père malheureux de pas avoir eu de garçon qui a maltraité ses quatre filles, notamment ma mère (l'aînée), la virant de la maison lorsqu'elle a atteint sa majorité. Par la suite, l'éloignement a fait qu'avec les ans j'ai de moins en moins vu mes tantes (deux vivant à Menton et une à Lyon) et mes cousines et cousins. Du côté paternel, mon père est le demi frère, le petit dernier, né d'un remariage tardif de mon grand-père avec la jeune fille qu'il avait engagée pour s'occuper de ses trois enfants. Mon père n'a jamais été totalement accepté dans cette famille Pérès, fière et un peu bourgeoise...
Mes parents (André et Anne-Marie), qui s'étaient rencontrés à Nice alors qu'ils étaient étudiants, sont arrivés à Moulins quand j'avais un an. Régulièrement, nous allions à Paris voir la demi-soeur de mon père (le demi-frère nous snobant ostensiblement depuis tant d'années) et sa fille ; nous allions encore plus régulièrement à Nice et Menton voir les soeurs de ma mère et la mère de mon père... J'ai toujours été un garçon très solitaire parce que les mois d'été et chaque vacance était l'occasion de ces longues transhumances puis de la vie dans la maison de campagne où je m'ennuyais ferme. D'un côté, on m'expliquait que mon grand-père était un monstre et de l'autre on me demandait d'aller le voir régulièrement et d'être gentil avec lui. De même, j'entendais mes parents évoquer à voix plus ou moins basse tel ou tel membre de ma famille et j'écoutais mes tantes critiquer mes parents pour leur éducation laxiste et leur reprocher leur statut d'enseignants privilégies. Ma soeur (Nathalie) et moi ayant sept ans d'écart et un tempérament différent, nous vivions l'un à côté de l'autre dans notre enfance mais pas l'un avec l'autre. Les quelques bons moments, c'était mes deux cousines. Encore aujourd'hui, je garde un très bon souvenir de ces balades, de ces lectures, de ces plages... avec Françoise et Christine... "C'était le bon temps !" Avec ma grand-mère Lucienne (la mère de mon père), j'ai vécu une relation totalement passionnelle... A sa mort en octobre 2001, j'ai dit adieu à une partie de moi-même.
A l'adolescence, j'ai commencé à connaître les vacances sans mes parents, grâce au centre aéré... Puis les vacances avec la petite copine... J'ai arrêté progressivement de voir ma famille, de façon presque inconsciente... Aujourd'hui, je ne les vois plus jamais... surtout depuis mon retour de Corse. Quand j'étais en Corse, Nice n'était qu'à une heure d'avion et quatre heures de bateau... Maintenant, c'est pour moi l'autre bout du pays... Mes cousines sont bien loin, on ne se connaît plus trop. Le seul sujet de conversation que j'ai avec mes tantes est l'état de santé de ma mère. Quant à ma soeur, si on a parfois envie de parler, plus que jadis en tout cas, elle est bien loin, en Allemagne, du côté de Frankfurt.
Ma famille, c'est mon père et ma mère. Ma mère est en train de disparaître. Cette phrase peut paraître banale, exagérée, insignifiante... Pourtant. Ma mère se vide de l'intérieur. Elle peut maintenant rester des heures debout, penchée au point que j'ai peur qu'elle tombe, dans le couloir, le regard vide. Elle ne sait plus où elle est. Son univers est borné d'angoisses, de craintes, de frayeurs... Elle appelle de plus en plus sa mère à l'aide... "Maman ! Maman !" Elle a perdu toute autonomie, elle ne peut plus manger seule, plus se laver seule, plus faire ses besoins seule. Elle est devenue totalement dépendante de mon père. Mon père est en train de disparaître. Lui aussi. Parce qu'il formait avec ma mère un de ces couples fusionnels qui ne peuvent vivre l'un sans l'autre. Mon père jadis plutôt sportif a de la peine à marcher, n'a plus de souffle, est de plus en plus voûté... Il s'énerve pour un rien et de plus en plus souvent. Il trompe sa mélancolie et son cafard par des soirées interminables devant la télévision ou dans la lecture d'ouvrages de théologie, sa nouvelle marotte. Il refuse toute aide extérieure pour ma mère, estimant qu'il s'en sortira tout seul, que c'est de toute façon son devoir ("unis pour le meilleur et pour le pire" ne cesse-t-il de répéter) et que c'est aussi le devoir de la famille qui n'est pas assez présente pour lui...
Tout ça n'est pas très drôle. Ce qui est encore moins drôle c'est quand on réalise, les uns et les autres, en discutant, que nous avons chacun notre famille où tel ou tel problème nous mine, notamment au moment des fêtes... Les secrets de familles, les repas de familles, l'héritage familial... La famille. Chose étrange qui continue à nous hanter. En plus, de nos jours, on a inventé la notion de famille recomposée... On multiplie les beaux-parents... C'est vrai, quoi ! Une seule belle mère, c'était pas assez ! c'est mieux d'en avoir plusieurs... La famille, ce refuge rêvé, cet idéal de la société occidentale et de toutes les sociétés, la famille me laisse un goût amer dans la bouche. Un peu de l'impression d'être face à un champ de ruines... Alors, c'est vrai, j'ai pas trop envie de construire ma propre famille... De toute façon, l'opportunité ne m'est pas offerte donc la question ne se pose pas !
On s'invente d'autres familles, par le monde associatif, parfois en se plongeant dans le boulot de façon insensée (en oubliant que le jour du licenciement ou de la retraite on est viré de la famille...), la famille du sport, la famille de la (non) pratique religieuse et/ou politique... Mais ce ne sont que des familles de substitution, comme des drogues de substitution... "ça a le goût de la famille, ça a la couleur de la famille, mais c'est pas la famille"... La famille, la vraie, ce truc bizarre, indéfinissable, ce lien parfois magique, une série de rites immuables...
Il est vrai que je ne connais hélas pas le seul aspect peut-être vraiment souriant de la famille : la paternité (ou la maternité). Je ne suis jamais que le dernier chaînon d'une famille en décomposition. Et, hélas, je ne serai probablement jamais le fondateur de ma propre famille. Alors, c'est vrai, plus que d'autres, je regarde avec suspicion la vie de famille, avec un peu de jalousie aussi et parfois de la curiosité...
Pour terminer sur un clin d'oeil, lisez ce qui suit avec l'accent sicilien de Hollywood : "Ecoute, petit ! Maintenant, tu fais partie de la famille !" On n'en sort décidément pas...
2 commentaires:
Je ne te fais pas souvent de compliments au sujet de tes textes...
Celui-ci est
magnifique."Ma mère se vide de l'intérieur..."
Isabelle
Cher Jean-Francois,
J'ai beaucoup aime ton message sur tes parents et ta famille; il est emouvant,
desabuse, et juste.
Je ne peux que te redire combien tu reussis a ecrire de beaux textes
autobiographiques, ce qui depasse de beaucoup le simple chat sur soi que l'on trouve
d'ordinaire sur internet, dans les blogs.
Je vais te donner uune preuve de mon admiration pour tes textes : il m'arrive assez
souvent de les imprimer, pour en garder une trace aisement consultable. Et puis cela
rendra le travail plus facile quand il faudra editer tes oeuvres completes en Pleiade.
Dis encore, si cela peut la joindre, toute mon amitie et mon bon souvenir a ta mere.
A toi mes voeux de bon courage pour garder la tete hors de l'eau.
Bien a toi.
Gérard
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