jeudi 27 mars 2014

La source est tarie ?

J'avais failli intituler ce message "La source est tarie", sans point d'interrogation puis je me suis ressaisi et j'ai voulu l'intituler "Ma vie s'est arrêtée au printemps 2004" puis je me suis de nouveau ressaisi.

L'histoire de la source tarie, c'est suite à cette idée absurde et incongrue qui m'a repris en janvier/février 2014... Ecrire ! J'ai d'abord écrit quelques fois sur mon blog... J'ai même songé à écrire de nouveau des poèmes, les mots venant tels des envahisseurs au petit matin ou lors de réveils nocturnes. Puis, le 9 mars, j'ai jeté quelques mots sur une page... Le premier chapitre de ce qui devait être une courte nouvelle... J'ai profité de mes congés d'hiver pour écrire, une petite heure chaque matin... Et la courte nouvelle est devenue deux cahiers petit format petits carreaux... Son titre (provisoire) ? "Un premier rendez-vous". J'ai achevé cette "novella" (j'aime mieux ce terme, plus légitime à mon avis) le samedi 22 mars, jour de mes 44 ans. Le lendemain, le 23 mars, par jeu, par défi, j'ai rédigé une petite nouvelle, une vraie cette fois, une "short story" comme l'on dit, concise, courte, avec une chute, une de ces histoires que j'aime tant lire mais que je ne suis jamais arrivé à écrire jusque là. J'ai évidemment dédié cette petite nouvelle sans prétention, intitulée "Inspiration", au génialissime Fredric BROWN, grand maître de la "short story".

Depuis ce jour, c'est le vide absolu. Je n'ai aucune idée. Mais alors aucune. Avant, j'avais parfois des idées. Ou au moins des phrases, des groupes de mots, des expressions, voire des titres... Là, plus rien. RIEN. Et ce n'est pas seulement le syndrome de la "page blanche" mais celui de la tête blanche. Ce n'est pas seulement que je n'ai rien à raconter. C'est que je n'ai rien à imaginer. Je me rends compte que je ne sais plus imaginer. Je ne sais plus rêver. 

J'ai tellement appris ces dernières années à mettre mes émotions de côté, que ce soit mon long, très long, très très long célibat (qui a duré de 1994 à 2007... et comme l'Eternité vers la fin ça devenait de plus en plus difficile à assumer !), que ce soit les années de la maladie de ma mère (de 2001 à 2008... quand je repense à sa lente puis rapide agonie j'ai l'impression que ce n'est pas moi qui ai vécu ces événements), que ce soit une à deux années très dures sur le plan professionnel (vers 2011/2012... une sale période...), que ce soit mon déménagement et mon choix de devenir propriétaire (et donc renoncer définitivement à retourner un jour peut-être vivre en Corse...)... J'ai donc tellement appris à mettre un mur entre moi et le monde que j'ai parfois l'impression de n'être plus qu'une coquille vide. Je pense au double album génial des Pink Floyd : "The Wall"... On construit tous notre mur brique après brique... On s'isole, on s'enferme, on se protège... de soi, des autres, des émotions...

En y réfléchissant et en l'affirmant péremptoirement de façon brutale, j'ai parfois comme l'impression que ma vie s'est arrêtée à l'orée de 2004, quand j'ai décidé de demander ma mutation, de quitter mon hameau de Castellu et le collège du Cap pour rentrer "sur le Continent", me rapprocher de ma mère déjà malade et ainsi dire adieu à mon projet de vie : vivre en Corse, quelque part entre le Paradis et le Bonheur. Bien sûr, tout n'était pas rose, loin de là. Mais c'était bien la vie que j'avais choisie. En même temps, comme me l'avait dit une collègue alors, si je n'avais pas fait cette demande de mutation, ça m'aurait hanté toute ma vie... Je voulais "profiter de ma mère" tant qu'elle était encore un peu "en forme"... mais son état a commencé à s'aggraver (avant de connaître une petite période de stabilité pendant un an) dès l'automne-hiver 2004/2005. Ce furent les chutes à répétition en 2006/2007 et l'effondrement dès début 2008, au moment même (ironie du Destin !) où je rencontrais ma douce et tendre, avant la disparition un jour de décembre 2008.

Je me souviens de ce matin de janvier 2004 sur le quai de la gare de Clermont disant à Fred de Ceyrat que j'allais demander ma mutation et que je l'obtiendrai probablement car j'avais "les points" pour rentrer en Bourbonnais... Les dés étaient jetés. Je revis douloureusement ce jour de mars ou d'avril 2004... mon Dieu, dix ans déjà !... où j'ai appris que j'avais obtenu ma mutation... J'ai pleuré plusieurs jours d'affilée. Mais je devais faire bonne figure. C'était la Fête du Collège. Et je voulais faire bonne figure... Il y avait mon groupe théâtre et mon groupe danses traditionnelles (ah ! le Quadrille Corse !... quel bonheur !). Et en plus mes parents étaient là pour assister au spectacle... Ce fut ma dernière fête du collège, ce furent aussi les premiers cartons du déménagement pour préparer "mon retour"... et mon enterrement de première classe...

Je suis mort il y a dix ans. Bien sûr, c'est une phrase comme ça... excessive... comme je le suis moi-même... Mais c'est un peu vrai... Depuis, j'ai bien sûr vécu... Comme je l'ai dit plus haut, après treize ans de célibat puis un an de "grand n'importe quoi" (ah ! l'univers des rencontres "grâce" à internet...), j'ai rencontré ma douce et tendre. J'ai passé de bons (très bons) moments au collège de Tronget. Depuis six mois, je découvre avec bonheur le travail en lycée : j'ai déjà eu l'occasion d'en parler... Mais... mais... Ce n'est pas la vie que j'avais rêvée... Bien sûr, toutes et tous, on a fait des choix, on n'a pas toujours fait ce qu'on a voulu, la vie a décidé pour nous... La vie ou "Dieu, le Destin ou le Hasard" comme il est dit dans l'ultime et sublime épisode de "Code Quantum"... Longtemps, j'ai rêvé que je retournerai à Castellu... Et maintenant je ne rêve même plus. Je suis mort au printemps 2004 quand j'ai su que je ne finirai pas mes jours quelque part dans ce Cap Corse que je chérissais et où j'avais choisi de travailler, de vivre, et peut-être un jour d'aimer (et... qui sait ?... avoir des enfants ?... mais là j'ai quand même un doute car faut être deux pour faire un enfant, surtout quand on est un homme...).

Bien sûr, je ne suis pas mort. Je vis toujours. Ou plutôt je survis. On survit tous. Celles et ceux d'entre vous qui sont passé(e)s par des "moments difficiles"... rupture douloureuse, mort d'un (e) proche, changement professionnel brutal, ou autre... Vous voyez de quoi je parle. Les autres me jugeront excessif et dérisoire. C'est la vie. C'est la survie. En même temps, survivre, c'est pas mal : "I will survive" est une chanson merveilleuse... Et, comme dirait Renaud dans la chanson "Cent Ans" : "J'ai cent ans et j'suis bien content : j'ai encore mal aux dents... [j'ai bien connu ça il y a quelques semaines !!] Et la souffrance c'est très rassurant, ça n'arrive qu'aux vivants"...

Pour revenir à mon manque d'imagination, ça vient peut-être tout simplement du fait que je me nourrissais jadis de ma vie pour écrire... Ayant une vie terriblement réglée et ordinaire, je n'ai plus rien à raconter. C'est presque drôle d'ailleurs. Depuis six ans et les mois douloureux qui précédèrent et suivirent la disparition de ma mère, j'ai appris - notamment sur les conseils de médecins et d'amis - à avoir une vie réglée, bien organisée, pour ne plus avoir à souffrir... Se coucher tôt, éviter de sortir, ne pas avoir d'émotions fortes, etc... Les petites manies pour se protéger de l'imprévu. Même moi, je baille d'ennui quand je pense à ma vie ces dernières années ! Heureusement, il me reste les moments avec ma douce et tendre et un boulot passionnant (du coup, j'ai d'ailleurs tendance à trop m'investir dans mon travail, n'ayant rien à côté).

Je ne sais pas si j'arriverai un jour à écrire de nouveau. Et surtout si j'arriverai un jour à raconter une histoire de nouveau. Après tout, je ne suis pas vraiment mort au printemps 2004... N'empêche que ça fait maintenant dix ans que j'ai dit adieu à ma vie d'avant... Avant ce matin, je n'avais pas réalisé que dix ans étaient déjà passés... Dix ans, c'est long...