vendredi 9 décembre 2016

Variation invariante



Ici et maintenant. Non seulement accepter mais désirer la vie que je vis. Vaste programme. Ambitieux même. Et pourtant ça tient en une petite phrase. Et c’est tellement difficile à mettre en pratique.

Ces dernières semaines, voire ces derniers mois (en fait, depuis mon petit « pépin de santé » fin juillet 2016), j’ai l’impression de ne plus rien maîtriser et de sentir ma vie s’étioler. Impression certainement fausse puisque, dès que je m’arrête un instant pour réfléchir (et Dieu sait que j’ai le temps !), je constate que ma vie s’écoule comme elle le devrait et que j’ai tout ce que je pourrais désirer.

Plus envie de parler de moi. Mais parler de qui ? de quoi ? et pourquoi ? et comment ? J’ai, jadis, pris l’habitude d’écrire et de faire partager à autrui mes élucubrations. Et, là, je manque cruellement d’inspiration. Du coup, j’ai eu le temps de relire quelques-uns de mes textes de mon blog (que j’ai entamé en 2005)… Consternant ! Je ne pensais pas que je maîtrisais à ce point le nombrilisme narcissique à tendance égocentrique maximum (je ne sais pas si c’est la bonne définition mais ça veut bien dire ce que ça veut dire). Diantre ! Que de blabla pour se raconter et pour faire mille et une fois le tour des mêmes banalités…

La vie ne s’écoule certes pas comme je le rêverais mais ce qui m’arrive n’est pas bien original. Je constate quotidiennement la vieillesse et la maladie faire des ravages dans mon entourage proche (ceux qui savent de quoi je parle comprendront, pour les autres je n’ai ni l’envie ni la force d’en écrire plus). Mais nous sommes nombreux à être dans la même barque, cette barque chancelante qui prend l’eau et qui n’a plus de rames.

(Ecrit le 6 décembre 2016.)

jeudi 8 décembre 2016

Inspiration : petite nouvelle...



Préambule « explicatif »…


Entre le 9 et le 22 mars 2014, j’ai rédigé ce qui devait être une petite nouvelle et est devenu une longue nouvelle sinon un petit roman (environ 150 pages de cahier petit format petits carreaux). J’ai écrit cette novella (pour employer un terme qui correspond plus au format), « Un premier rendez-vous » [titre provisoire], inspiré et encouragé par ma compagne qui avait elle-même composé une nouvelle voilà quelques semaines. J’avais jadis écrit des nouvelles puis y avais renoncé (il y a de longues années : ma dernière nouvelle aboutie, « La semaine très ordinaire de Nino R. », datait de 1992). Manque d’inspiration, de temps, de constance, etc…

Je n’ai pas encore relu de façon complète cette novella et je ne l’ai pas dactylographiée. Je l’enverrai (par courrier postal, c’est plus confortable à la lecture) à celles et ceux d’entre vous que ça intéresse.

En attendant, j’ai rédigé le 23 mars 2014 une autre nouvelle, cette fois-ci une « vraie » nouvelle, courte, concise, avec une chute, une « short story » comme j’aime les lire mais comme je n’en avais encore jamais écrites…

La voici donc ci-dessous… Bonne lecture ! Et soyez indulgents…




INSPIRATION

 


« Quelque part à l’est du Grand Lac vivait un vieil homme fruste. Il venait rarement en ville et ne parlait à personne, sinon à Tom l’épicier chez qui il venait faire le plein de provisions une fois par mois. Nul ne connaissait le son de sa voix à part ce brave Tom. »



« Qu’est-ce que tu es en train de faire ? demanda Miranda.
- Je t’ai déjà dit de ne pas m’interrompre, répondit Sam agacé.
- Excuse moi… mais c’est bientôt l’heure…
- L’heure de quoi ?
- Tu as oublié qu’on doit aller déjeuner chez tes parents ?
- Et m… » Sam se retint de hurler à la face de sa femme qu’il n’avait aucune envie d’aller voir les Vieux Schnocks, surtout pas le jour où il sentait que l’inspiration lui revenait enfin.


On ne fait pas toujours ce qu’on veut, pensa Sam en ajustant son veston. Il resserra son nœud de cravate et se regarda dans la glace… Il était encore bien conservé, pour un type de cinquante balais… Après tout, il avait fait le plus gros… Les soucis étaient derrière lui. Le crédit de la maison était fini de rembourser, les enfants avaient eu l’intelligence de ne pas faire de longues études et de trouver un boulot. Miranda était plutôt une brave fille. Elle ne remplacerait jamais dans son cœur sa défunte femme chérie, Suzan. Mais elle était une bonne cuisinière et elle se laissait grimper dessus quand il lui en prenait l’envie. Plus très souvent. Il n’avait plus le cœur à ça. Il attribuait son absence de désir à l’âge et ne se posait guère de question à ce sujet.



Ce qui préoccupait Sam, c’était ce fichu roman que lui avait commandé Frankie Gilbert, son éditeur. Commander un roman ! Je n’écris pas sur ordre, avait-il répondu. Non mais qu’est-ce qu’il croit, Frankie ? Qu’on appuie sur un bouton et que les phrases viennent comme ça ? Et quelle idée de vouloir qu’il écrive un roman fantastique, lui qui avait jusque là écrit surtout des nouvelles réalistes ? Enfin, bon, ce n’était quand même pas une Saga de Fantasy qu’il lui avait réclamée… Il se voyait bien, tiens, à cinquante ans, raconter des histoires de guerriers barbares et de magiciennes nymphomanes !



« A quoi tu penses, Sam ? » lui demanda Miranda alors qu’il voyait s’éloigner dans son rétroviseur leur petit pavillon de banlieue. Constatant qu’il ne lui répondait pas elle commença à tripatouiller l’autoradio en quête d’une station sympa qui passe des vieux tubes. Il coupa immédiatement le poste.


« Non, mais, ça va pas ?! Déjà que tu ne parles pas… et maintenant je ne peux pas mettre de musique ?!
- Oh, c’est reparti !
- Oui, c’est reparti ! Je ne te reconnais plus… C’est ce fichu bouquin, c’est ça ?!
- Tu ne peux pas comprendre…
- Tu n’avais pas à accepter ce contrat…
- Ce n’est pas si simple…
- Monsieur joue les grands écrivains, monsieur se lance dans le fantastique… tu te prends pour Stephen King ?!
- Pfff… Ils sont assommants, ses romans… trop longs… Il ne sait pas être concis…
- C’est vrai que toi tu sais être concis… tellement concis que tu n’as rien écrit depuis deux ans !
- Oh… arrête un peu ! »



A ce moment-là, leur voiture s’arrêta brusquement. Heureusement, ils étaient sur une petite route de campagne et personne ne les suivait.



« Qu’est-ce qui se passe ?!
- Je n’en sais rien, Miranda…
- Je croyais que tu avais emmené ce tas de boue au contrôle technique le mois dernier…
- C’est ce que j’ai fait.. Ils ont même dit qu’elle pouvait encore nous faire une demi douzaine d’années…
- Ben voyons ! Parce qu’on va encore garder cette épave… mais mon pauvre ami… »



Sam ne l’écoutait plus. Cette panne était une bénédiction ! Il sortit de la voiture et s’alluma une cigarette puis alla faire quelques pas… Miranda sortit à son tour : « Mais qu’est-ce que tu fais ?
- Une pause, ça ne se voit pas ?
- Elle ne vas pas se réparer toute seule !
- Je ne suis pas garagiste.
- Tu pourrais au moins jeter un coup d’œil sous le capot !
- Y a pas urgence, je fume ma clope. Elle ne va pas repartir sans nous. »



Il ne croyait pas si bien dire, Sam. La voiture repartit, les laissant en plan au milieu de nulle part.






Le vieil homme, assis dans son fauteuil, regardait le Grand Lac par la fenêtre. Décidément, il n’avait pas d’inspiration en ce moment. Son éditeur lui avait conseillé de prendre le large, d’aller vivre à la campagne, de ne parler à personne… Tu parles, l’inspiration, elle ne vient pas comme ça ! Un roman sur un couple qui peine à passer le cap de la cinquantaine, non, décidément, ce n’est pas son truc. Désolé, Frankie, mais je vais reprendre ma Saga d’Heroïc Fantasy . En plus, ça vend bien, les histoires de guerriers barbares et de sorcières nymphomanes.



« Tom, le vieux monsieur qui venait une fois par mois faire le plein de provisions, on ne le voit plus ? Il lui est arrivé quelque chose ?
- Non… Non… Il est juste retourné vivre en ville.
- Encore un de ces citadins qui ne se sont pas faits à la vie à la campagne. Et ta maison près du lac, elle est libre maintenant ?
- Non… non… Je la loue à un couple de banlieusards, Sam et Miranda qu’ils s’appellent. Ils sont arrivés à pieds ce matin. »

 



*


*           *


 


Je dédie fort affectueusement et fort respectueusement cette « short story » au génial Fredric BROWN.


mardi 6 décembre 2016

Ivresse : petite nouvelle...


« Non, je n’me souviens plus du nom du bal perdu… »

La rengaine de Bourvil emplissait le petit appartement de Jean tandis qu’il s’évadait dans les vapeurs de l’alcool… Une bière puis une autre puis une autre et quelques cacahuètes entre deux cigarettes…

Jean aimait bien ces samedis soirs embrumés où il rêvassait jusqu’au bout de la nuit sur des rengaines d’autrefois. Il avait commencé à boire pour combler sa solitude, ménager sa mélancolie et dorloter sa nostalgie. Maintenant il buvait systématiquement comme pour honorer la chanson de Boris Vian dont il avait fait son programme de vie. Boire pour ne pas se dire qu’il faudrait en finir.

Tiens, la chanson est terminée. Tiens, elle recommence. C’est l’avantage avec un morceau sur CD. On peut le répéter à l’infini sans peur de l’user. Ce n’est pas comme la vie qui ne passe qu’une fois… et encore ! pas pour tout le monde ! Parfois le disque de la vie est rayé, comme une poussière qui vient à point nommé arrêter la course inéluctable vers le déclin.

Jean s’assoupit un moment. Quand il rouvrit les yeux, son téléviseur éteint le regardait toujours, rectangle noir lui renvoyant l’image de son néant. Il ne put s’empêcher de sourire à l’idée d’un gentil génie qui viendrait le secouer pour l’inciter à changer de vie, à se reprendre en main, à continuer sa marche dans le vaste monde. Mais Jean trouvait du réconfort dans sa situation actuelle. Il avait le désespoir tranquille et son frigo plein de canettes le rassurait quant à la suite de son marathon Bourvil.

Il se dit à un moment qu’il écrirait volontiers un poème, un petit texte aux mots soupesés, une ode à la déprime triomphante. Mais il ne se leva que pour aller chercher une autre bière  bien fraîche. De retour sur son canapé où il trônait tel un dieu de la cuite solitaire et anonyme, il alluma une autre cigarette et se décida à chanter en duo avec Bourvil la belle et touchante histoire de ce couple perdu dansant dans les ruines…

« Et c’était bien… »

J.-F. P. – 27 mars 2014

Pour se rappeler que ce n’était pas si bien… loin de là…

lundi 5 décembre 2016

La Porte : petite nouvelle...

Comme je n'ai (décidément !) aucune inspiration en ce moment, je me décide à mettre en ligne deux/trois "nouvelles" écrites voilà deux ou trois ans... Bonne lecture !




LA PORTE




La peur du néant l’habitait. Et l’ennui. Le compte à rebours avait commencé le jour de sa naissance. Il était prédestiné à mourir. Et il ne pouvait l’accepter.

Il ne comprenait rien. Rien à rien. Il avait cru que l’âge venant une certaine sagesse ou à défaut une once de sérénité lui permettrait de vivoter sinon de vivre. Il avait tort.

Il n’avait goût à rien. Sinon au culte du néant. C’était un enfant gâté qui avait vieilli prématurément, un adolescent attardé aux cheveux grisonnants qui attendait son heure mais ne savait pas être patient.

Pierre en était là de ses intenses réflexions stériles quand il entendit comme un bruit sourd contre sa porte. Qui donc pouvait oser le déranger à une telle heure ? Il n’attendait personne. Il attendait juste que ça passe.

Pierre se replongea dans sa méditation malsaine et deux coups sourds retentirent cette fois dans tout son appartement. Il était vaguement inquiet. Qui Dieu pouvait oser l’interrompre en pleine transe métaphysique ?

Et si c’était la Mort qui se décidait à venir l’enlever ? Pourquoi pas après tout ? On lit de ci de là des récits de la Grande Faucheuse qui vient vous surprendre  dans votre quotidien.

Ou alors c’était le début de la Folie ? Pierre était victime d’hallucinations auditives. Oui, c’était ça. Certainement. Un mirage sonore…

Bon, l’hypothèse de la Mort était plus séduisante, plus romantique, plus glamour. Peut-être était-ce une combinaison des deux ? La Folie qui le précipitait dans les bras de la Grande Faucheuse ?

Trois coups sourds contre la porte et le doute n’était plus permis. Quelqu’un… ou quelque chose… frappait… Mais que voulait l’importun ? Que Pierre sorte ? Sûrement pas ! Entrer dans l’appartement ? Certes non. 

Ces fâcheux qui vous dérangent dans vos travaux méditatifs ne méritent assurément pas qu’on leur accorde la moindre attention. Et pourtant le fait était établi : Pierre ne pouvait plus ignorer qu’on avait frappé à sa porte. Le dérangement était bien installé.

Et si c’était le Bonheur qui était là, qui demandait à entrer, à faire partie de sa vie ? Après tout, Pierre y avait bien droit, lui aussi, au Bonheur. Il paraît même que tout le monde y a droit de nos jours. Quelle idée absurde et naïve mais pourtant si touchante ?! Le Bonheur… Vous n’y pensez pas. Grotesque.

Ou alors c’était le Grand Amour. Carrément. Le truc qui fait fondre tout le monde et surtout les intellectuels faussaires qui se réfugient dans leur univers grisonnant parce qu’ils ont peur de n’avoir pas su aimer ni être aimés. Ridicule.

Quatre coups… Pom ! Pom ! Pom ! Pom ! C’était le Destin ! Mais bien sûr ! Les quatre notes fameuses de la Cinquième de Ludwig Van ! Le thème du Débarquement de Normandie. La victoire en chantant, le sacrifice pour la liberté guidant les peuples, la lutte contre la barbarie. Superbe.

Pierre se décida à se lever… Après tout, si c’était le Destin, il se devait de l’accueillir dignement. Il réajusta son col, resserra sa ceinture et épousseta ses manches. Il se devait d’être présentable pour cet hôte de marque.

Pierre ouvrit la porte. Il n’y avait personne. Il distingua une silhouette qui descendait prestement l’escalier en soufflant entre ses dents. Une silhouette sombre qui tenait un drôle d’objet entre ses mains, comme une sorte de faux. Une créature tout droit sortie d’un livre d’illustrations de contes moyenâgeux.

Ainsi, c’était donc la Mort. Madame la Mort. Pierre avait échappé à la Mort. Une fois encore. Il était un peu ennuyé, lui qui aurait bien eu deux mots à lui dire. Deux ou trois. Guère plus. Il avait surtout envie de s’entretenir avec Dieu. Les intermédiaires sont et restent des subalternes après tout. La Mort n’était qu’un factotum au service du Tout Puissant.

Dommage. Pourquoi n’avait-il pas ouvert plus tôt ? Elle repassera. Elle repasse toujours. Il devrait encore et encore attendre. Et ça l’ennuyait beaucoup. Il avait laissé passer sa chance de connaître la seule aventure exaltante qui vaille : regarder la Mort en face !

Pierre se laissa gagner par le Désespoir. Il ouvrit la fenêtre, tira à lui un tabouret et monta dessus. Il pouvait maintenant dominer toute la rue. Tiens, il n’avait plus le vertige. Cette phobie qui lui avait pourri l’existence venait de disparaître.

Pierre réajusta son col… Où avait-il la tête ? C’était déjà fait ! Il était présentable. Il prit une grande inspiration et entreprit de sauter la tête la première pour être sûr de son coup.

Alors qu’il se sentait quitter son corps, déjà très aplati et abîmé par une chute d’une dizaine de mètres, Pierre vit un visage familier se pencher sur lui. L’enfant pleurait. C’était le fils de la concierge. Il portait un accoutrement ridicule, un déguisement vaguement gothique, un de ces costumes que l’on porte pour fêter Halloween. L’enfant tenait dans sa main un sac de bonbons.

Pierre sourit. Pour la première fois de sa mort. Pour la dernière fois de sa vie.

 

J.-F. P. – 3 avril 2014