lundi 3 février 2014

Pourquoi avais-je arrêté d'écrire et pourquoi écrire me gêne-t-il encore autant ?

J'ai toujours "aimé" écrire mais, en même temps, j'en ressens une certaine gêne voire plus. Comme une culpabilité à prendre du plaisir à une pratique qui serait quelque peu honteuse. Pourquoi ? Je ne sais... J'ai souvent "envié" toutes ces personnes qui utilisent la création artistique (entre autres l'écriture) pour se détendre. Pour moi, j'ai toujours plus ressenti "ce besoin d'écrire" comme une souffrance ou une mission, pas comme un hobby et un plaisir.

Je me souviens qu'enfant j'écrivais quelques poèmes. En sixième, j'avais écrit une nouvelle mythologique et l'avait montrée à ma prof de dessin (parce que je la trouvais sympa), qui s'était empressée de dire à ma mère (sa collègue) que je devais avoir un "problème" pour écrire comme ça... J'avais donc arrêté l'écriture un temps. Puis j'avais pratiqué quelque temps le "journal intime" jusqu'à que je lise dans un ouvrage fort sérieux qu'écrire un journal intime était un signe de névrose typique de l'adolescence, les expressions "masturbation intellectuelle" et "nombrilisme" y étaient d'ailleurs abondamment soulignées (les psys font du mal avec leurs termes définitifs !). Je me souviens du jour où j'ai jeté tous mes cahiers dans les égouts, les jugeant indignes même pour la poubelle...

J'ai ensuite, pendant un temps, "commencé" des nouvelles. J'étais très dilettante (reproche permanent adressé par ma mère, mon père lui considérait qu'écrire était l'expression de ma mégalomanie maladive) et je "commençais" beaucoup d'histoires. J'ai toujours été doué pour les titres et les premières phrases mais ça ne fait pas un texte ! J'ai malgré tout fini quelques nouvelles, souvent marquées par l'idée du suicide puis par l'artifice du rêve. Je les faisais lire à mes amis et à mon professeur préféré, Gérard. J'avais l'impression d'être vivant. J'ai également rédigé un récit, en 1985, où je racontais une semaine de camp vidéo à laquelle j'avais participé et dont je ne voulais jamais oublier les moments si riches (ah ! les propos définitifs de l'adolescence !). 

Un jour, j'ai fait la bêtise (encouragé par mes amis et même par mon père... une des rares fois dans ma vie) de participer à un concours de nouvelles. J'en ai envoyé deux (dont une tapée par une amie en un week-end... il n'y avait pas alors de logiciel de traitement de textes, en tout cas pas pour le "grand public"). Je préfère ne pas me souvenir des mois d'attente de la réponse fatidique et du jour où je l'ai reçue. Le message était lapidaire, me reprochant notamment de ne pas savoir décrire une émotion musicale. J'ai arrêté d'écrire des nouvelles, sauf une fois en 1992 (par jeu plus que par envie ou besoin) :

Je me suis tourné avec passion vers la poésie que je pratiquais déjà auparavant. J'écrivais sur tout et tout le temps. J'étais plutôt doué. Je pouvais écrire un poème en une dizaine de minutes, un sonnet en une heure... Là aussi, je faisais lire mes textes à mes proches voire plus. On avait créé "un courant" avec plusieurs amis ("La Néo-Décadence"). On tirait une petite publication, on avait envoyé nos textes à des émissions de télé ("L'Assiette anglaise" nous avait cités !). Bref, tout partait bien. Puis vint le temps de copains qui ont fait un numéro pirate de textes en utilisant le nom sans demander aux autres. J'en ai été malade. J'ai même alors tenté de mettre fin à mes jours et je me suis retrouvé à l'hôpital pour un lavage d'estomac, avec ma mère à mes côtés. 

Par la suite, j'ai encore écrit des poèmes mais tout seul et pour un cercle plus restreint puis pour des personnes en particulier (mais les textes pouvaient être lus par tout le monde, ce n'était pas des textes "intimes"). Progressivement, je me suis rendu compte que j'avais besoin de l'alcool pour m'exprimer. C'était compliqué. J'ai fini par tourner un peu en rond. Et j'ai arrêté d'écrire des poèmes (pour le plus grand bien de la poésie !) à la fin des années 2000.

J'ai trouvé un autre mode d'expression avec le blog fin 2005 mais internet, c'est aussi les critiques rapides et définitives et parfois gratuitement méchantes (certains commentateurs, dont un ancien ami proche, me demandant de me tuer parce que j'écrivais mal !).

J'ai expérimenté un autre mode de création, à mon avis plus intéressant, via le théâtre, d'abord en jouant (avec la troupe de La Nouvelle Rampe) puis, après la mort de ma mère (je ne me sentais plus alors de monter sur scène),en pratiquant la mise en scène dans le collège où j'exerçais. Mais cette page est derrière moi.

J'ai, par la suite, écrit de moins en moins, par peur notamment qu'on veuille "lire à travers les lignes" dans mes textes. C'est toujours compliqué de "publier" (c'est-à-dire de "rendre public") un texte. Non seulement on est exposé à la critique mais également aux interprétations. De même que chacun(e) d'entre nous accueille différemment n'importe quelle oeuvre (une chanson, un roman, un film, un poème, un tableau...), il y aurait autant d'interprétations de mes propos que d'éventuels lecteurs de mes chroniques sur mon blog, autant de malentendus, de fâcheries et tout et tout... Et puis, comme je l'ai déjà écrit l'autre jour, ce qui m'avait poussé au silence et qui fait qu'aujourd'hui je suis "gêné" encore (et plus que jamais !) de reprendre sinon la plume du moins le clavier, c'est le bruit de notre époque, sa superficialité... Tout le monde donne son avis sur tout. Mais est-ce finalement si spécifique à notre époque ? Il est temps peut-être que je lise "Le misanthrope" de Molière ! A mon amie Sandrine qui me demandait ce que ça me faisait d'écrire de nouveau, j'ai répondu, sur un ton désabusé, que j'avais l'impression d'accomplir quelque chose de totalement inutile et que je me comportais en enfant capricieux, genre "j'ai envie d'écrire, je veux que ça se sache !", histoire de montrer que j'existe et d'avoir l'impression (illusoire ?) d'être vivant. En même temps, quelle honte y a-t-il à vouloir être vivant ?

Pour finir cette "réflexion" sur un ton peut-être plus léger et pour faire un clin d'oeil à deux collègues de lettres classiques qui appréciaient particulièrement ce film... quelques citations extraites du fabuleux "Cercle des Poètes disparus" qui pourront illustrer, d'une certaine façon, le propos qui précède et nourrir (voire orienter) votre "interprétation" dudit propos...

On lit ou on écrit de la poésie non pas parce que c'est joli. On lit et on écrit de la poésie parce que l'on fait partie de l'humanité, et que l'humanité est faite de passions. La médecine, le droit, le commerce et l'industrie sont de nobles poursuites, et elles sont nécessaires pour assurer la vie. Mais la poésie, la beauté, l'amour, l'aventure, c'est en fait pour cela qu'on vit. Pour citer Whitman : « Ô moi ! Ô la vie ! Tant de questions qui m'assaillent sans cesse, ces interminables cortèges d'incroyants, ces cités peuplées de sots. Qu'y a-t-il de beau en cela ? Ô moi ! Ô la vie ! ». Réponse : que tu es ici, que la vie existe, et l'identité. Que le prodigieux spectacle continue et que tu peux y apporter ta rime. Que le prodigieux spectacle continue et que tu peux y apporter ta rime... Quelle sera votre rime ?

Tout ça avait pour but d'illustrer le péril du conformisme, et la difficulté de préserver vos convictions, quoi qu'en pense les autres. [...] Nous avons tous besoin d'être accepté, mais soyez persuadé que vos convictions sont uniques, les vôtres, même si on les trouve anormales ou impopulaires, même si le troupeau dit « C'est maaaaaaaaal ». Robert Frost a dit : « Deux routes s'offraient à moi, et là j'ai suivi celle où on n'allait pas, et j'ai compris toute la différence. »

Et enfin... 

Je partis dans les bois car je voulais vivre sans me hâter, vivre intensément et sucer toute la moelle secrète de la vie. Je voulais chasser tout ce qui dénaturait la vie, pour ne pas, au soir de la vieillesse, découvrir que je n'avais pas vécu.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Salut Jean-François,

Moi, je trouve que tu écris TRES bien, alors fais toi plaisir, lâche toi,
si tu en as envie et que ça te fait du bien, ne te prive pas,
laisse l'encre couler sur le papier et basta.

"on ne peux pas plaire à tout le monde" arrête de te rendre malade pour et à cause des cons, écris et ne meurs pas, tu es sur la bonne voie en restant dans l'action.

Hasta la victoria siempre !!!

Bénédicte

4 II 2014

Anonyme a dit…

wahou! Je suis totalement scotchée par ton récit. Beaucoup t'ont apparemment reproché de ne pas mettre de sentiments dans tes textes, je ne suis pas d'accord avec eux. Tu as un réel talent et j'ai ressenti tes émotions et ta douleur dans certains paragraphes.
Nous nous sommes tous sentis exclus de la société au moins une fois dans notre vie..et le plus merveilleux dans ton histoire c'est que tu te relèves à chaque fois, tu rebondis sur les reproches, le manque d'affection, pour en ressortir plus fort qu'avant.
On dit que les erreurs et la douleurs forgent le caractère et je pense que dans ton cas c'est vrai.

Et pour finir je te dirai que c'est toujours avec autant de plaisir que je lis tes récits.

A bientôt,

Maeva

4 II 2014

Anonyme a dit…

Ah ! oui, écrire, c'est vivre. Même lire, c'est dire ! Mais trouver les mots pour paver la route afin que tous puissent passer, ça n'est pas donné à tout le monde ; à toi, si. Continue, mon cher Jean-François.

Gérard

5 II 2014