lundi 5 décembre 2016

La Porte : petite nouvelle...

Comme je n'ai (décidément !) aucune inspiration en ce moment, je me décide à mettre en ligne deux/trois "nouvelles" écrites voilà deux ou trois ans... Bonne lecture !




LA PORTE




La peur du néant l’habitait. Et l’ennui. Le compte à rebours avait commencé le jour de sa naissance. Il était prédestiné à mourir. Et il ne pouvait l’accepter.

Il ne comprenait rien. Rien à rien. Il avait cru que l’âge venant une certaine sagesse ou à défaut une once de sérénité lui permettrait de vivoter sinon de vivre. Il avait tort.

Il n’avait goût à rien. Sinon au culte du néant. C’était un enfant gâté qui avait vieilli prématurément, un adolescent attardé aux cheveux grisonnants qui attendait son heure mais ne savait pas être patient.

Pierre en était là de ses intenses réflexions stériles quand il entendit comme un bruit sourd contre sa porte. Qui donc pouvait oser le déranger à une telle heure ? Il n’attendait personne. Il attendait juste que ça passe.

Pierre se replongea dans sa méditation malsaine et deux coups sourds retentirent cette fois dans tout son appartement. Il était vaguement inquiet. Qui Dieu pouvait oser l’interrompre en pleine transe métaphysique ?

Et si c’était la Mort qui se décidait à venir l’enlever ? Pourquoi pas après tout ? On lit de ci de là des récits de la Grande Faucheuse qui vient vous surprendre  dans votre quotidien.

Ou alors c’était le début de la Folie ? Pierre était victime d’hallucinations auditives. Oui, c’était ça. Certainement. Un mirage sonore…

Bon, l’hypothèse de la Mort était plus séduisante, plus romantique, plus glamour. Peut-être était-ce une combinaison des deux ? La Folie qui le précipitait dans les bras de la Grande Faucheuse ?

Trois coups sourds contre la porte et le doute n’était plus permis. Quelqu’un… ou quelque chose… frappait… Mais que voulait l’importun ? Que Pierre sorte ? Sûrement pas ! Entrer dans l’appartement ? Certes non. 

Ces fâcheux qui vous dérangent dans vos travaux méditatifs ne méritent assurément pas qu’on leur accorde la moindre attention. Et pourtant le fait était établi : Pierre ne pouvait plus ignorer qu’on avait frappé à sa porte. Le dérangement était bien installé.

Et si c’était le Bonheur qui était là, qui demandait à entrer, à faire partie de sa vie ? Après tout, Pierre y avait bien droit, lui aussi, au Bonheur. Il paraît même que tout le monde y a droit de nos jours. Quelle idée absurde et naïve mais pourtant si touchante ?! Le Bonheur… Vous n’y pensez pas. Grotesque.

Ou alors c’était le Grand Amour. Carrément. Le truc qui fait fondre tout le monde et surtout les intellectuels faussaires qui se réfugient dans leur univers grisonnant parce qu’ils ont peur de n’avoir pas su aimer ni être aimés. Ridicule.

Quatre coups… Pom ! Pom ! Pom ! Pom ! C’était le Destin ! Mais bien sûr ! Les quatre notes fameuses de la Cinquième de Ludwig Van ! Le thème du Débarquement de Normandie. La victoire en chantant, le sacrifice pour la liberté guidant les peuples, la lutte contre la barbarie. Superbe.

Pierre se décida à se lever… Après tout, si c’était le Destin, il se devait de l’accueillir dignement. Il réajusta son col, resserra sa ceinture et épousseta ses manches. Il se devait d’être présentable pour cet hôte de marque.

Pierre ouvrit la porte. Il n’y avait personne. Il distingua une silhouette qui descendait prestement l’escalier en soufflant entre ses dents. Une silhouette sombre qui tenait un drôle d’objet entre ses mains, comme une sorte de faux. Une créature tout droit sortie d’un livre d’illustrations de contes moyenâgeux.

Ainsi, c’était donc la Mort. Madame la Mort. Pierre avait échappé à la Mort. Une fois encore. Il était un peu ennuyé, lui qui aurait bien eu deux mots à lui dire. Deux ou trois. Guère plus. Il avait surtout envie de s’entretenir avec Dieu. Les intermédiaires sont et restent des subalternes après tout. La Mort n’était qu’un factotum au service du Tout Puissant.

Dommage. Pourquoi n’avait-il pas ouvert plus tôt ? Elle repassera. Elle repasse toujours. Il devrait encore et encore attendre. Et ça l’ennuyait beaucoup. Il avait laissé passer sa chance de connaître la seule aventure exaltante qui vaille : regarder la Mort en face !

Pierre se laissa gagner par le Désespoir. Il ouvrit la fenêtre, tira à lui un tabouret et monta dessus. Il pouvait maintenant dominer toute la rue. Tiens, il n’avait plus le vertige. Cette phobie qui lui avait pourri l’existence venait de disparaître.

Pierre réajusta son col… Où avait-il la tête ? C’était déjà fait ! Il était présentable. Il prit une grande inspiration et entreprit de sauter la tête la première pour être sûr de son coup.

Alors qu’il se sentait quitter son corps, déjà très aplati et abîmé par une chute d’une dizaine de mètres, Pierre vit un visage familier se pencher sur lui. L’enfant pleurait. C’était le fils de la concierge. Il portait un accoutrement ridicule, un déguisement vaguement gothique, un de ces costumes que l’on porte pour fêter Halloween. L’enfant tenait dans sa main un sac de bonbons.

Pierre sourit. Pour la première fois de sa mort. Pour la dernière fois de sa vie.

 

J.-F. P. – 3 avril 2014

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