LA PORTE
La peur du néant l’habitait. Et
l’ennui. Le compte à rebours avait commencé le jour de sa naissance. Il était
prédestiné à mourir. Et il ne pouvait l’accepter.
Il ne comprenait rien. Rien à
rien. Il avait cru que l’âge venant une certaine sagesse ou à défaut une once
de sérénité lui permettrait de vivoter sinon de vivre. Il avait tort.
Il n’avait goût à rien. Sinon au
culte du néant. C’était un enfant gâté qui avait vieilli prématurément, un
adolescent attardé aux cheveux grisonnants qui attendait son heure mais ne
savait pas être patient.
Pierre en était là de ses
intenses réflexions stériles quand il entendit comme un bruit sourd contre sa
porte. Qui donc pouvait oser le déranger à une telle heure ? Il
n’attendait personne. Il attendait juste que ça passe.
Pierre se replongea dans sa
méditation malsaine et deux coups sourds retentirent cette fois dans tout son
appartement. Il était vaguement inquiet. Qui Dieu pouvait oser l’interrompre en
pleine transe métaphysique ?
Et si c’était la Mort qui se
décidait à venir l’enlever ? Pourquoi pas après tout ? On lit de ci
de là des récits de la Grande Faucheuse qui vient vous surprendre dans votre quotidien.
Ou alors c’était le début de la
Folie ? Pierre était victime d’hallucinations auditives. Oui, c’était ça.
Certainement. Un mirage sonore…
Bon, l’hypothèse de la Mort était
plus séduisante, plus romantique, plus glamour. Peut-être était-ce une
combinaison des deux ? La Folie qui le précipitait dans les bras de la
Grande Faucheuse ?
Trois coups sourds contre la
porte et le doute n’était plus permis. Quelqu’un… ou quelque chose… frappait…
Mais que voulait l’importun ? Que Pierre sorte ? Sûrement pas !
Entrer dans l’appartement ? Certes non.
Ces fâcheux qui vous dérangent
dans vos travaux méditatifs ne méritent assurément pas qu’on leur accorde la
moindre attention. Et pourtant le fait était établi : Pierre ne pouvait
plus ignorer qu’on avait frappé à sa porte. Le dérangement était bien installé.
Et si c’était le Bonheur qui
était là, qui demandait à entrer, à faire partie de sa vie ? Après tout,
Pierre y avait bien droit, lui aussi, au Bonheur. Il paraît même que tout le
monde y a droit de nos jours. Quelle idée absurde et naïve mais pourtant si
touchante ?! Le Bonheur… Vous n’y pensez pas. Grotesque.
Ou alors c’était le Grand Amour.
Carrément. Le truc qui fait fondre tout le monde et surtout les intellectuels
faussaires qui se réfugient dans leur univers grisonnant parce qu’ils ont peur
de n’avoir pas su aimer ni être aimés. Ridicule.
Quatre coups… Pom !
Pom ! Pom ! Pom ! C’était le Destin ! Mais bien sûr !
Les quatre notes fameuses de la Cinquième de Ludwig Van ! Le thème du
Débarquement de Normandie. La victoire en chantant, le sacrifice pour la liberté
guidant les peuples, la lutte contre la barbarie. Superbe.
Pierre se décida à se lever…
Après tout, si c’était le Destin, il se devait de l’accueillir dignement. Il
réajusta son col, resserra sa ceinture et épousseta ses manches. Il se devait
d’être présentable pour cet hôte de marque.
Pierre ouvrit la porte. Il n’y
avait personne. Il distingua une silhouette qui descendait prestement
l’escalier en soufflant entre ses dents. Une silhouette sombre qui tenait un
drôle d’objet entre ses mains, comme une sorte de faux. Une créature tout droit
sortie d’un livre d’illustrations de contes moyenâgeux.
Ainsi, c’était donc la Mort.
Madame la Mort. Pierre avait échappé à la Mort. Une fois encore. Il était un
peu ennuyé, lui qui aurait bien eu deux mots à lui dire. Deux ou trois. Guère
plus. Il avait surtout envie de s’entretenir avec Dieu. Les intermédiaires sont
et restent des subalternes après tout. La Mort n’était qu’un factotum au
service du Tout Puissant.
Dommage. Pourquoi n’avait-il pas
ouvert plus tôt ? Elle repassera. Elle repasse toujours. Il devrait encore
et encore attendre. Et ça l’ennuyait beaucoup. Il avait laissé passer sa chance
de connaître la seule aventure exaltante qui vaille : regarder la Mort en
face !
Pierre se laissa gagner par le
Désespoir. Il ouvrit la fenêtre, tira à lui un tabouret et monta dessus. Il
pouvait maintenant dominer toute la rue. Tiens, il n’avait plus le vertige.
Cette phobie qui lui avait pourri l’existence venait de disparaître.
Pierre réajusta son col… Où
avait-il la tête ? C’était déjà fait ! Il était présentable. Il prit
une grande inspiration et entreprit de sauter la tête la première pour être sûr
de son coup.
Alors qu’il se sentait quitter
son corps, déjà très aplati et abîmé par une chute d’une dizaine de mètres,
Pierre vit un visage familier se pencher sur lui. L’enfant pleurait. C’était le
fils de la concierge. Il portait un accoutrement ridicule, un déguisement
vaguement gothique, un de ces costumes que l’on porte pour fêter Halloween.
L’enfant tenait dans sa main un sac de bonbons.
Pierre sourit. Pour la première
fois de sa mort. Pour la dernière fois de sa vie.
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