« Non, je n’me souviens plus
du nom du bal perdu… »
La rengaine de Bourvil emplissait
le petit appartement de Jean tandis qu’il s’évadait dans les vapeurs de
l’alcool… Une bière puis une autre puis une autre et quelques cacahuètes entre
deux cigarettes…
Jean aimait bien ces samedis
soirs embrumés où il rêvassait jusqu’au bout de la nuit sur des rengaines
d’autrefois. Il avait commencé à boire pour combler sa solitude, ménager sa
mélancolie et dorloter sa nostalgie. Maintenant il buvait systématiquement
comme pour honorer la chanson de Boris Vian dont il avait fait son programme de
vie. Boire pour ne pas se dire qu’il faudrait en finir.
Tiens, la chanson est terminée.
Tiens, elle recommence. C’est l’avantage avec un morceau sur CD. On peut le
répéter à l’infini sans peur de l’user. Ce n’est pas comme la vie qui ne passe
qu’une fois… et encore ! pas pour tout le monde ! Parfois le disque
de la vie est rayé, comme une poussière qui vient à point nommé arrêter la
course inéluctable vers le déclin.
Jean s’assoupit un moment. Quand
il rouvrit les yeux, son téléviseur éteint le regardait toujours, rectangle
noir lui renvoyant l’image de son néant. Il ne put s’empêcher de sourire à
l’idée d’un gentil génie qui viendrait le secouer pour l’inciter à changer de
vie, à se reprendre en main, à continuer sa marche dans le vaste monde. Mais
Jean trouvait du réconfort dans sa situation actuelle. Il avait le désespoir
tranquille et son frigo plein de canettes le rassurait quant à la suite de son
marathon Bourvil.
Il se dit à un moment qu’il
écrirait volontiers un poème, un petit texte aux mots soupesés, une ode à la
déprime triomphante. Mais il ne se leva que pour aller chercher une autre
bière bien fraîche. De retour sur son
canapé où il trônait tel un dieu de la cuite solitaire et anonyme, il alluma
une autre cigarette et se décida à chanter en duo avec Bourvil la belle et
touchante histoire de ce couple perdu dansant dans les ruines…
« Et c’était bien… »
J.-F. P. – 27 mars 2014
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