mardi 6 décembre 2016

Ivresse : petite nouvelle...


« Non, je n’me souviens plus du nom du bal perdu… »

La rengaine de Bourvil emplissait le petit appartement de Jean tandis qu’il s’évadait dans les vapeurs de l’alcool… Une bière puis une autre puis une autre et quelques cacahuètes entre deux cigarettes…

Jean aimait bien ces samedis soirs embrumés où il rêvassait jusqu’au bout de la nuit sur des rengaines d’autrefois. Il avait commencé à boire pour combler sa solitude, ménager sa mélancolie et dorloter sa nostalgie. Maintenant il buvait systématiquement comme pour honorer la chanson de Boris Vian dont il avait fait son programme de vie. Boire pour ne pas se dire qu’il faudrait en finir.

Tiens, la chanson est terminée. Tiens, elle recommence. C’est l’avantage avec un morceau sur CD. On peut le répéter à l’infini sans peur de l’user. Ce n’est pas comme la vie qui ne passe qu’une fois… et encore ! pas pour tout le monde ! Parfois le disque de la vie est rayé, comme une poussière qui vient à point nommé arrêter la course inéluctable vers le déclin.

Jean s’assoupit un moment. Quand il rouvrit les yeux, son téléviseur éteint le regardait toujours, rectangle noir lui renvoyant l’image de son néant. Il ne put s’empêcher de sourire à l’idée d’un gentil génie qui viendrait le secouer pour l’inciter à changer de vie, à se reprendre en main, à continuer sa marche dans le vaste monde. Mais Jean trouvait du réconfort dans sa situation actuelle. Il avait le désespoir tranquille et son frigo plein de canettes le rassurait quant à la suite de son marathon Bourvil.

Il se dit à un moment qu’il écrirait volontiers un poème, un petit texte aux mots soupesés, une ode à la déprime triomphante. Mais il ne se leva que pour aller chercher une autre bière  bien fraîche. De retour sur son canapé où il trônait tel un dieu de la cuite solitaire et anonyme, il alluma une autre cigarette et se décida à chanter en duo avec Bourvil la belle et touchante histoire de ce couple perdu dansant dans les ruines…

« Et c’était bien… »

J.-F. P. – 27 mars 2014

Pour se rappeler que ce n’était pas si bien… loin de là…

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