mercredi 17 avril 2019

Le jour de la trahison

Mercredi Saint. Aujourd'hui, la liturgie nous propose la lecture de la trahison de Judas. L'occasion de rappeler que, jadis, on jeûnait deux fois par semaine, le mercredi et le vendredi. Le mercredi pour commémorer la trahison de Judas. Le vendredi pour commémorer la mort de Jésus Notre Seigneur.

Judas. J'avoue que ce personnage m'a toujours intrigué. Et je ne suis pas le seul. Longtemps, il fut juste classé parmi les traîtres absolus et devint même un nom commun (j'ai un judas à la porte de mon appartement !!). Depuis un siècle et quelque, on assiste sinon à une réhabilitation, en tout cas à une tentative de compréhension du geste de l'individu Judas et plus largement de compréhension de l'individu lui-même. De nombreux écrivains, historiens (et pseudo historiens...) mais aussi des prêtres et des évêques et des mystiques ont disserté longuement sur la figure de Judas. Trahison à but politique ? Amitié déçue ? Geste purement diabolique et comme uniquement inspiré par Satan ? La littérature et le cinéma se sont emparés de Judas. Je rappellerai juste la très belle pièce "Judas" de Marcel Pagnol, une pièce méconnue et qui ne fut montée qu'une fois. Une pièce intéressante où l'auteur, lui-même protestant, explique sa démarche.

Revenons au geste. La trahison. Judas a trahi Jésus. D'autres disciples n'ont pas été brillants lors des dernières heures de la vie de Jésus... Souvenons-nous du reniement de Pierre (dans l'Evangile de Matthieu, il disparait carrément du récit après son reniement, les trois autres évangélistes sont plus cléments avec le fondateur de l'Eglise). Les autres disciples s'échappent à leur tour. Seul le disciple bien-aimé (uniquement dans l'Evangile de Jean) sera présent au moment de la crucifixion. Les disciples ont tous fui. Restent les femmes, Marie, la mère de Jésus, Marie de Magdala (qui sera la première à voir Jésus ressuscité) et quelques autres fidèles. Au moment de la mise au tombeau, deux Pharisiens sympathisants de la cause de Jésus : Nicodème et Joseph d'Arimathie. Toujours pas de disciples... Les disciples se terrent. Certains rentrent chez eux : Jésus ressuscité les accompagnera, c'est le magnifique récit d'Emmaüs, très cher à mon coeur, lu le soir de Pâques.

Mais revenons à la trahison. Judas a trahi. Les autres disciples, je l'ai déjà dit, n'ont pas été "brillants" non plus... Et moi ? Et nous ? En ce Mercredi Saint, il est temps de nous interroger sur notre foi, sur notre rapport à Dieu et au prochain. Nous avons tous trahi un jour ou l'autre. Je ne vais pas ici faire la confession de mes trahisons. Ce n'est pas le sujet du jour. Mais je profiterai de cette journée avant le Triduum Pascal pour réfléchir, rentrer en moi, comme le fils prodigue qui s'interroge avant de revenir vers le Père.

Judas a trahi. Mais, surtout, Judas ne s'est pas repenti. Il n'a pas cru à la miséricorde infinie du Seigneur. Il a commis le péché contre l'Esprit. Après sa forfaiture, il est allé se pendre, désespéré, tellement sûr que Dieu ne lui pardonnerait jamais. Le suicide est rare dans la Bible, très rare chez les Hébreux. On peut citer le premier des rois, Saül, qui se suicide, et le prophète Elie qui a, à un moment, la tentation du suicide. Les Hébreux, comme les Grecs anciens, ne se suicident pas (Oedipe préfère se crever les yeux que de se suicider : il affronte son Destin). A la différence d'autres civilisations : les Romains ou les Japonais, pour citer les plus connus.

Qu'il est difficile de retourner vers le Père. De faire amende honorable. De demander pardon. Au Père. Aux autres. A soi.

Le chemin est long et sinueux qui mène au Seigneur. L'Eglise peut nous aider. La lecture de la Bible peut nous aider. Notre éducation (ma famille m'a beaucoup appris). Nos rencontres nous aident. Dans mon cas, de nombreuses rencontres, avec des prêtres, bien sûr, que ce soit quand j'étais adolescent ou depuis que j'ai repris "le chemin de l'Eglise" au début des Années 2000. Il y a aussi les échanges avec des collègues et amis... Ma principale dans le Cap Corse, un ami féru de l'Evangile de Jean, plusieurs collègues depuis que j'exerce au Lycée Mme de Staël (dont l'une qui me donna l'opportunité d'aller à la messe "pas seulement le dimanche"... je ne la remercierai jamais assez !) et bien sûr "mon ancien prof de grec" (qui a appris le grec pour pouvoir lire l'Evangile dans le texte !) qui m'inspire depuis tant d'années. Qu'elles et ils soient toutes et tous ici remercié(e)s.

Le chemin peut aussi passer par des oeuvres d'arts. Certains seront émus par des monuments, par des tableaux. D'autres par des musiques (sacrées ou non). D'autres encore par des romans ou des essais. Pour ma part, je le confesse, ce fut la redécouverte, au début des Années 2000, du film "La Dernière Tentation du Christ". Un film profondément incompris. Un film haï par les Chrétiens (et pas seulement les Catholiques). Un film méprisé par la critique. Un film qui ne trouva pas son public. Et, pourtant, son réalisateur, Martin Scorsese, lui-même profondément catholique, n'avait aucunement cherché à polémiquer. Beaucoup de gens qui ont critiqué ce film ne l'ont tout simplement pas vu, reprenant la citation d'un célèbre écrivain : "Pas besoin de visiter un bordel pour savoir ce qui s'y déroule". Certes. 

Le film raconte un Jésus très humain qui s'interroge sur sa divinité. Jusque là rien à redire. Vient le moment de la Crucifixion. Là, Jésus voit un ange (sous les traits d'une adorable jeune fille) venir lui retirer les clous et l'inviter à descendre de la croix... pour vivre sa vie... C'est l'ultime tentation mais on ne le sait pas encore. L'ange (prétendu ange) annonce à Jésus qu'il n'est pas au Paradis mais sur Terre, qu'il n'est pas Dieu et qu'il doit vivre sa vie d'homme. Jésus prend femme (le scandale... or tout bon croyant se marie et se multiplie... à part quelques exceptions) et a des enfants. Il vieillit et vit sa vie d'homme jusqu'au jour où il tombe nez à nez avec Paul, l'Apôtre. Le doute s'installe. S'est-il trompé de vie ? Ses disciples lui en veulent beaucoup d'avoir trahi, surtout Judas ! Et, là, on découvre que l'ange... c'est Satan, littéralement le tentateur... Et n'oublions pas qu'il est écrit, dans le récit des tentations de Jésus au Désert, que le tentateur reviendra le tenter... On peut critiquer la naïveté du propos. Mais s'interroger sur l'humanité de Jésus, c'est le coeur du Mystère de l'Incarnation, Dieu fait homme. Au dernier moment, au moment de mourir, Jésus s'interrogerait : et si ce n'était pas là ma mission ? A la fin du film, Jésus reprend son rôle (il n'y a donc là rien de blasphématoire). Il a résisté à la tentation. Pour l'anecdote, la musique, magnifique, est signée Peter Gabriel. Et mon cher David Bowie apparait en Ponce Pilate...

Voilà. Qu'est-ce qui nous fait un jour nous interroger, prendre ou reprendre le chemin qui mène à Jésus ?

La route est longue. La porte est étroite. Mais nous ne sommes pas seuls. Jamais.

Bon Triduum Pascal à toutes et tous !

Dieu vous bénisse.

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