vendredi 4 décembre 2015

La grande tentation

Chacun(e) d'entre nous a des rêves. Parfois il les oublie, parfois il les enterre, parfois il les ignore. Certain(e)s réalisent leur rêve. D'autres doivent renoncer à leur rêve.

J'avais un rêve : aller travailler et vivre en Corse. La terre de mes ancêtres (une petite partie de mes ancêtres, pour être précis, originaire du village de Peri, non loin d'Aiacciu... euh... Ajaccio). Dès mon premier contact avec la Corse, alors que j'étais jeune adolescent, lors de vacances avec mes parents, je suis tombé amoureux (et le mot est faible, croyez-moi) de cette île. Nous sommes allés trois étés de suite en Corse, comme un voyage un peu plus en profondeur chaque année. Nous sommes d'abord allés du côté de Porti Vechju (ah ! les aiguilles de Bavella ! Zonza !). L'été suivant, ce fut la Haute-Corse, depuis le camping de Macinaghju (c'est à cette occasion que j'ai découvert le Cap Corse... Capi Corsu... l'isula di l'isula, comme dit "la pub"... mais c'est tellement vrai !), le Cap Corse, Bastia, la Balagne... La troisième année, nous avons rayonné depuis Corti mais nous avons craqué et avons fini notre séjour une nouvelle fois à Macinaghju. Plusieurs fois, nous nous étions rendus, mes parents, ma soeur et moi, à Peri, découvrir "le berceau des Pérès", la chapelle familiale, le cousin corse (qui vivait à Neuilly neuf mois sur douze mais avait "la maison familiale" au pays... paese...).

C'était les Années 1980, le combat pour l'autonomie. Dans mon délire d'adolescent, j'avais même commencé la rédaction d'une constitution corse... Sans commentaire ! Je ne serai jamais un grand juriste ! J'ai vite renoncé à mon projet.

Les années ont passé. Mais je rêvais toujours de la Corse. Je me suis même fait "casser la gueule" une fois parce que, au sortir d'un bistrot à Clermont, j'avais dit que j'étais corse... C'était quelques jours avant de passer mon écrit de CAPES... Je n'en ai pas souvent parlé.

Les années ont continué de passer... les échecs aussi, personnels et sentimentaux et professionnels... En 1995, j'ai eu soudain une opportunité fabuleuse : aller travailler comme "recenseur documentaliste des monuments historiques" à la Direction régionale des affaires culturelles d'Ajaccio... J'ai sauté sur l'occasion. Ce fut une merveilleuse année, une initiation à la vie... sauf que mon boulot de documentaliste de l'Education nationale me manquait... J'ai retrouvé dès 1996 "la maison enseignement" et la région Auvergne et mon cher Bourbonnais. Parce que de vivre en Corse m'avait aussi fait découvrir combien j'aimais le Bourbonnais... Rien n'est simple, n'est-ce pas ? 

Mais au fond de moi j'avais un goût d'occasion manquée, un rendez-vous raté, une tentative avortée... Après trois ans d'exercice en collège dont un à Cosne d'Allier, là même où j'ai découvert ce qu'était un collège rural, j'ai demandé ma mutation pour la Corse, sûr que je ne l'obtiendrais pas la première année... Et, pourtant, Dieu (ou le Destin ou le hasard ou tout simplement suffisamment de "points" pour pouvoir muter) était avec moi... J'avais posé en premier voeu le collège de Luri dans le Cap, région que j'avais redécouverte à l'occasion d'une journée de formation lors de mon année à la DRAC d'Ajaccio.

Et me voici arrivé au Collège du Cap pour la rentrée 1999... Tout de suite, je m'y sentis à l'aise. La deuxième année fut un peu plus difficile parce que, après l'enthousiasme des débuts, ce fut le temps de la déprime parce que j'étais loin de mes amis et surtout de mes parents. J'ai alors demandé ma mutation pour rentrer sur le Continent. Dieu merci, je n'ai pas eu cette mutation. Et je suis resté en Corse... Peu de temps après, quelques semaines après le 11 septembre de triste mémoire, ma grand-mère décède. Les derniers temps, elle perdait un peu la tête. Le médecin avait évoqué Alzheimer. Toujours cette même année 2001, un jour de décembre, ma mère m'appelle pour m'apprendre que le médecin avait diagnostiqué chez elle la maladie d'Alzheimer. Ce jour-là, j'ai compris ce que signifiait l'expression "sentir le sol se dérober sous ses pieds".

Fin 2003, l'état de santé de ma mère s'était beaucoup dégradé. Il devenait évident pour moi que je me devais de me rapprocher de mes parents. Et j'ai pris la décision de demander ma mutation pour le Continent... J'ai déjà évoqué ce jour de printemps 2004 (dans un texte publié sur ce blog en mars 2014) où j'ai pleuré toutes les larmes de corps parce que j'avais obtenu ma mutation et que je savais que j'allais quitter la Corse. J'allais dire au revoir à mon rêve.

On peut enterrer un rêve au fond de soi, bien profond, en espérant qu'il ne viendra pas vous hanter, pas même au coeur des nuits d'insomnie... Et pourtant... Il n'y a pas de pire ennemi que soi-même... Alors on tente de se préserver, de se protéger, on se construit son mur (comme le chantaient si bien les Pink Floyd). J'ai bien vite pris conscience que tout ce qui avait rapport avec la Corse provoquait en moi des montées de nostalgie et des envies folles de tout plaquer pour repartir vivre là-bas.

J'ai arrêté d'écouter des chants corses. Bye bye Canta U Populu Corsu, Chjami Aghjalesi et tous les autres... J'ai évité soigneusement les émissions télévisées qui parlaient de la Corse... Je ne relis pas "Astérix en Corse" (même si je l'ai en triple exemplaire dont un, forcément, en langue corse). Je veille soigneusement à ne pas revoir "L'Enquête corse" (qui, par ailleurs, n'est pas un grand film mais reste une petite comédie bien sympathique et distrayante)...

Je me souviens de ce jour de septembre 2004 où j'avais découvert "L'enquête corse" dans un cinéma de Moulins. Cette morsure au coeur qui m'avait pris à ce moment-là... Et, heureusement, j'avais croisé un couple de collègues de Tronget qui m'avaient invité à boire un verre au "Grand Jus" (les Moulinois comprendront). Mais, depuis, chaque fois, j'évite de revoir ne serait-ce que quelques instants de ce film.

Il est repassé hier soir sur TMC... J'ai bien fait gaffe mais, à un moment, je suis tombé dessus en faisant "mon tour de zapette"... et je suis resté scotché pendant vingt minutes à pleurer devant les paysages qui défilaient... J'ai profité de l'arrivée chez le grand-père pour aller dans ma chambre et lire. Bravache, j'ai rallumé la télé en prenant mon déca... et le film n'était pas encore fini, l'occasion de voir le générique de fin et Tzek et Pido (tous ceux qui connaissent la Corse comprendront) expliquer "qu'on peut rire des Corses mais... faut pas !" dans un grand éclat de rire.

Comment trouver le sommeil après ? Tout vous revient à la figure... Les routes de Corse, les balades dans la montagne, le sentier des douaniers, la plage, le vin de Patrimoniu, la charcuterie et le fromage mais surtout les amis avec qui j'ai partagé tant de moments... Et cette île, cette île qui m'appelait, et qui m'appelle. Et l'envie de repartir, de demander ma mutation, de retourner vivre et travailler en Corse, même si j'en suis parti il y a plus de dix ans et que je n'y suis même pas retourné pour des vacances (sauf dans des rêves assez fréquents où je prends l'avion pour quelques jours du côté de Luri...). "Voilà ce que la nuit j'imagine dans mon délire", pour quasi paraphraser une chanson de Jacques Brel...

Elle est là, ma grande tentation à moi... Tout plaquer pour repartir vivre en Corse. Repartir. L'appel de la Corse, comme chez d'autres l'appel de la mer : la fin du film "Marius" de Pagnol où Fanny comprend qu'elle ne pourra pas retenir indéfiniment son Marius de partir sur un bateau pour aller à la découverte du monde.

Comprenne qui pourra. Pardonne qui osera.

La vie continue. "Il faut faire avec". Il faut savoir vivre avec ses rêves. Malgré ses rêves. Au delà de ses rêves. Ce n'est pas toujours facile. Mais qui a dit que résister à la tentation était chose aisée ?...

4 commentaires:

PatatoOor a dit…

Je suis de Bonifacio, j'y suis né et y ai vécu jusqu'à mes 18 ans où je suis parti en Fac à Montpellier. Puis j'ai entamé une carrière professionnelle qui m'a fait beaucoup bougé, voyagé, en France et à l'étranger entre Lyon, Paris, Djibouti en Afrique et maintenant Bordeaux.
Je rentre 3 fois par an en Corse.
Maintenant que j'ai bien profité du "continent" pendant 20 ans (à 18 ans je n'avais qu'une envie : quitter cette prison dorée qu'était pour moi la Corse) je commence à avoir envie d'y rentrer, d'en profiter à 100% tout en continuant à voyager ailleurs pour les vacances !
D'ici 2/3 ans peut être...
Mes parents, mon frère, mes neveux et de nombreux amis y habitent et j'aurais aussi des facilité de logement, atout non négligeable sur notre ile...

Anonyme a dit…

Cher Jean-François,
J'ai adoré ta lettre.
Pars. Vas y. Il faut être courageux pour accéder au bonheur. Il faut savoir être égoïste. Si je n'avais pas peur, et le poids de la famille sur les épaules, je serais en Louisiane à l'heure qu'il est... Et si j'étais riche... ah si j'étais riche et bien j'aurais un châlet en Haute Savoie. Mais une chose est sûre : un jour je l'aurais ma petite maison en bord de mer à Brétignolles ! Ah la Vendée... Je me force à ne pas y penser. Je pourrais en pleurer ! Le mobil home que mes grands parents avaient... jetés comme des va nu pieds du camping où j'ai été à moitié élevée... Tout ça parce-qu'il était soi disant trop vieux. Brétignolles mon amour. Parfois je ferme les yeux et je m'y balade. Je connais l'endroit comme ma poche. Il est prévu que j'y retourne l'an prochain pour mes vacances d'été. Ma carotte en somme.
Je te souhaite de nouvelles aventures !
(P.S. : j'adore "Astérix en Corse" surtout la scène dans l'auberge avec la fameuse soeur tant bavarde...)

Je te souhaite aussi de bonnes fêtes de fin d'année bien sûr !

Basgiu Michèle (toujours dans le Cantal...)

(6 décembre 2015)

Anonyme a dit…

Bonjour Jean-François,

Ce ?rêve? s?estompera peut-être si ton attention se porte sur un autre objet, qui n?aura au mieux aucun lien avec le précédent, ce qui n?est d?ailleurs jamais assuré. Le pessimisme de cette hypothèse permet néanmoins de comprendre l?envie de replonger dans le rêve initial. Pour ma part, je ne regrette rien et apprécie le cours actuel des choses provoquées, même si leur nature fait écho à des désirs anciens (je pense à mes études, à Moulins, et personnes que j?ai rencontrées alors, dont tu fais partie). J?aime beaucoup la qualité de ton écriture.

A bientôt,
Christophe Dumont.

(06/12/2015)

Anonyme a dit…

Cher Jean-François,

Merci pour ton message personnel et tes deux pages de réflexion autobiographique. Concernant ces dernières, tu sais ce que j'en pense : tu es fait pour ça. Si un état un peu songe-creux (comme dit Montaigne) doit te conduire à si joliment écrire, cet état-là n'est donc pas tout à fait stérile. Bon, il vaudrait peut-être encore mieux être con et heureux à la fois, sans souci d'écrire, mais on en se refait pas. Toi, ton truc, c'est écrire sur toi, que tu le veuilles ou non, que tu le passes sous silence ou non. Tu fais partie de la grande famille des nerveux qui sauveront le monde en parlant d'eux, et pour lesquels on a tant de reconnaissance, les Rousseau, les Proust, etc. Tu es fait pour l'autobiographie. Si cela te fait peur de te lancer dans une oeuvre de longue haleine où tu passerais toute ta vie en revue, contente-toi d'un choix de moments clés de ta vie. Descends-y par ton écriture, fais de ces moments une force. Je suis tout à fait persuadé que quelqu'un comme toi qui sait écrire peut trouver dans cette occupation une véritable force d'exister. Tu as l'art de dire de manière intéressante des choses qui ne le seraient pas forcément, mais où tu réussis à entraîner tes lecteurs dans une complicité qui est le fondement de la littérature.

Pour le message personnel [...] Je suis confiant que la prière est une force spirituelle qui nous tient debout, sans que nous sachions toujours qui prie, et pour qui. S'il n'y avait pas la prière des hommes, le monde se serait peut-être effondré depuis longtemps.

Je pense souvent à ta maman, à ma sympathique collègue Anne-Marie, avec qui j'avais les meilleurs rapports.

Mon cher Jean-François, je serai toujours content de te lire, tu le sais. Tu as un don, utilise-le. Il t'aidera et aidera les autres.

Bien à toi [...]

Gérard, 9 décembre 2015