Désolé mais le message qui suit ne sera pas glorieux ni enthousiaste, plutôt introspectif et gris, comme je le suis naturellement. Et c'est là mon problème (pour ne pas employer le mot 'drame' vraiment hors de propos). Je ne suis pas ce que les gens croient que je suis. Et notamment à cause de mon physique. Ce n'est pas nouveau et je suis loin d'être le seul dans ce cas mais hier soir, lors de la répétition de "Un Fil à la Patte", cette vérité m'a explosé à la figure... Vous n'êtes pas sans savoir que je joue le rôle de Bouzin (que je le hais ce personnage !!). Celles et ceux qui connaissent la pièce savent que c'est un clerc de notaire stupide et grossier qui se prend pour un poète (mon Dieu ! je suis un documentaliste qui écrit des poésies...) et qui, au troisième acte, doit céder son pantalon au personnage principal de la pièce, Bois d'Enghien (salut Laurent !!). Du coup, je me retrouve en caleçon (diantre ! on a vu assez d'horreurs pendant la guerre lol)... Jusque là tout va bien et c'est plutôt amusant. Ce qui est effrayant c'est quand l'autre acteur (Laurent est grand et mince) prend mes vêtements. Hier, en le regardant jouer, je me suis vu. Ou plutôt j'ai vu ce que les gens voyaient de moi, cette enveloppe corporelle pas bien agréable... Comme disait Bacri dans "Les Sentiments" : quelqu'un de gros, moche, con et vieux. Vieux, pas encore trop, mais déjà à la moitié de ma vie. Con, là, je vous renvoie à la chanson de Brassens. Moche, je l'ai toujours été. Mais gros, c'est tellement pas moi. En plus un gros gentil, le bon gars, le copain sympa et jovial, toujours le mot pour rire, le bon vivant (bah ! que je déteste cette expression !) qui est également cultivé (quand j'avais dix-huit ans j'ai fait une crise de nerfs parce qu'une amie m'avait dit que j'étais un intello : pour elle c'était un compliment, pour moi presque une insulte). Alors, je sais, faut pas que j'ai peur d'être ridicule, c'est le rôle qui veut ça. Comme me l'a dit Samantha, l'une des actrices de la troupe, "On ne fait pas de théâtre si l'on a peur d'être ridicule". N'empêche, hier soir, lors de la répétition, et dans la vie, je ne suis pas aveugle, les gens autour de moi sont plutôt minces et élancés. Je suis gros et ratatiné, même mes doigts sont boudinés.
Je ne suis ni gros ni gentil. Non, je ne suis pas gros, en tout cas pas dans ma tête. Et c'est bien le problème. Dans ma tête je suis toujours le jeune homme mince voire maigre que j'étais à dix-huit ans. Ceux qui m'ont connu à l'époque peuvent témoigner. J'ai commencé à grossir à l'âge de vingt-deux ans, l'année de mon CAPES. Ne plus faire de sport, manger à heures fixes, m'installer en ménage (à l'époque j'étais presque marié) et surtout une agression dont j'ai été victime à quelques jours de mes écrits en mars 1992. Quelques coups de pieds reçus à la sortie d'un bar de Clermont de la part d'appelés du 92° ivres pour une histoire de cigarettes... Je me suis mis à mépriser mon corps. J'ai été agressé une autre fois en juin 1998, chez moi à Moulins, cette fois, au retour de boîte (à l'époque j'étais un sacré noceur) et ça m'a éloigné pour longtemps des sorties et refermé sur moi. Je n'ai pas grossi uniquement suite à une agression. C'est un processus lent, un suicide qui se cache, un alcoolisme d'abord mondain (comme on dit) puis solitaire, de plus en plus triste. Je me cachais pour boire. Je buvais parce que je me cachais. Et j'engraissais. Je finis par ressembler à cette chanson, que j'adore et que je hais à la fois, de Brel "Jef"...
Je ne suis pas gros. Je n'ai pas le caractère d'un gros. Je suis anxieux, impatient, nerveux. Je suis un angoissé chronique, pessimiste, fataliste. Mes films préférés, c'est "Furyo" (l'histoire de remords permanents qui hantent le personnage de Jack - mon prénom préféré - Celliers joué par Bowie) et "Brazil" (un homme qui s'échappe d'une réalité minable et morbide par le rêve). C'est pas des films de gros. J'ai toujours été un inquiet. A quinze ans j'avais déjà peur de vieillir. A dix-neuf ans je déprimais parce que j'étais effrayé par l'avenir. Le jour où j'ai eu mon CAPES j'ai presque pleuré, à la perspective de devenir un fonctionnaire et d'avoir ma vie toute tracée, car cette vie me faisait peur.
Je ne suis pas gentil. Ma famille pourrait témoigner, de même que tous les amis que j'ai trahis au cours des ans. Mes parents, j'ai été odieux avec eux. Je leur ai fait vivre mille tourments lors de mon adolescence, notamment par mes deux tentatives de suicide et mon penchant pour l'alcool. Je n'ai pas été là pour leur apporter l'amour qui leur est dû. Eux m'ont aimé sans compter. Moi, j'ai fui. A vingt-neuf ans, n'écoutant que mes sirènes, je suis parti en Corse, alors que ma mère était déjà malade. Je ne savais pas alors qu'elle avait Alzheimer mais néanmoins je voyais qu'elle n'allait pas bien. Elle a pleuré quand je lui ai dit que je partais. Je les ai abandonnés. En 2002, j'ai renoncé à demander ma mutation pour des calculs de carrière. J'ai attendu 2004 pour rentrer... Et je me rends compte que c'était trop tard. Maintenant, ma mère passe sa vie assise sur un canapé à regarder le monde tristement ("Ma Chambre a la forme d'une cage" diraient Apollinaire et Pink Martini mais tout cela n'a rien de sympathique). Si j'étais rentré plus tôt j'aurais pu profiter d'elle et l'accompagner un peu plus. Le plus terrible fut quand, par hasard, en discutant avec Samantha avant-hier, j'appris qu'elle avait eu ma mère comme prof de latin la dernière année où ma mère exerçait. Ce que mon père et moi soupçonnions depuis longtemps devint une terrible évidence : les dernières années de professorat de ma mère, c'était du grand n'importe quoi... Elle était chahutée (elle jadis toujours respectée voire crainte) et avait des réactions bizarres, des propos déplacés voire des gestes farfelus. Et moi, pendant ce temps-là, j'étais en Corse à vivre ma petite vie, à ne rien voir, à ne rien faire. Je voulais des remords, je crois que j'en ai pour un moment.
Non, je ne suis pas gentil. Je ne suis pas un bon gars. Je suis peut-être sensible (trop !) mais je suis aussi bougrement égoïste, mesquin et brusque, maladroit, voire violent. Bref, pas très intéressant. Pour garder une approche physique du personnage, je suis plus un sale con qu'un gros con. En plus, je suis exhibitionniste puisque j'écris ceci sur un blog, même s'il est de portée confidentielle et même si je peux toujours utiliser l'argument du : c'est pour vous prouver ma confiance que je vous dis tout... Je repense à une chanson des Stranglers, intitulée "La Folie", qui dit ceci : "Et si parfois l'on fait des confessions, à qui les raconter ? Même le Bon Dieu nous a laissés tomber !". Et, plus loin, le chanteur répète (en français) : à qui tout raconter ?
Surtout, j'ai peur, depuis toujours. Peur de moi, des autres, du monde (voir mon poème "Un peu de moi-même"). Maintenant, j'ai une nouvelle peur : la peur de ma folie. Oh, elle n'est pas si nouvelle que ça. Je l'ai notamment éprouvée lors de ma grande dépression au printemps 2001, perdu au fin fond du Cap Corse quand je voulais en finir. Mais, depuis quelques mois et surtout quelques jours, je rêve (ou plutôt je cauchemarde) que je perds la tête, progressivement, insidieusement... La maladie de ma mère, qui me hante et me mine, m'obsède... A force de voir son cerveau en décomposition, attaqué de l'intérieur, c'est le mien que je vois partir. Dans plusieurs rêves, déjà, je me voyais perdre mes mots, mes repères... Depuis quelques semaines, je me rends compte, aussi bien au boulot que chez moi, que j'oublie des choses, que je fais des choses bizarres. Je sais bien que c'est le surmenage, dû à plusieurs facteurs : les répétitions intensives (avec les aller-retour dans une voiture capricieuse par un temps pourri), ma passion impossible pour quelqu'un qui ne le saura jamais (je ne parlerai pas même sous la torture !!!), la reprise du sport (le petit gros a des complexes alors il va courir pour essayer d'être un peu moins gros), etc... Mais, quand même. J'avoue être inquiet de mes absences, de mes étourderies. Je ne peux m'empêcher d'y penser. J'ai peur de cette araignée qui, à l'intérieur de la tête, tisse sa toile et se nourrit des neurones de son hôte. C'est une maladie dégueulasse, comme toutes les maladies, mais tellement humiliante pour son porteur.
Je ne suis ni gros ni gentil. Je suis enveloppé et angoissé. En plus, je suis comme les sangsues, je m'accroche aux gens pour leur raconter mes histoires (ce que je fais en ce moment), j'essaie de récupérer un peu de leur vitalité pour moi-même retrouver le goût de vivre.
J'aime pas Bouzin. C'est vraiment un rôle qui me pèse (contrairement au rôle de célibataire amoureux transi que j'avais dans "Le Dindon" : Rédillon était parfois ridicule mais souvent touchant et me correspondait parfaitement ; j'avais adoré ce pesonnage). Je sais, c'est du théâtre. Je distingue mon rôle de ce que je suis. Mais les autres, les spectateurs, collègues, amis, voire élèves... Que vont-ils voir ? Le bon gros qui se donne en spectacle, qui amuse la galerie. Ils penseront : décidément, ce Jean-François, quel bon vivant... C'est tellement loin de moi tout ça.
C'est pas grave. L'habit ne fait pas le moine, l'apparence ne fait pas l'individu. Et j'entends déjà les hypocrites dire que le physique ne compte pas. Mais le physique, c'est notre carte de visite. Moi, le premier, je regarde l'autre avant de le connaître. On est bien obligés ! On ne dispose pas de rayons X pour sonder les individus... Alors, oui, pour ma part, chez une fille notamment, je regarde d'abord les yeux et le visage, le regard, le sourire, le maintien, donc aussi le corps, la poitrine et bien sûr tout le reste. Je ne regarde pas l'âme. D'abord, ça ressemble à quoi, une âme ? En plus, chez les Cathos, on croit à la Résurrection des corps... Contrairement à ce que l'on croit, les Cathos sont obsédés par le corps (peut-être pour ça qu'ils sont obsédés par le péché de chair ???)... Comment vais-je ressusciter ? A vingt ans, mince et élancé ? A vingt-cinq, bouffi par l'alcool ? A trente, après mon régime (j'avais perdu 35 kilos en trois mois et je les ai repris dès qu'un type m'a traité de "gros") ? Aujourd'hui où je ressemble à rien ? A soixante-dix ans (si je les atteins) ?
Je ne suis pas ce que je suis.