Les jours passent, l'état de ma mère se dégrade inéluctablement et de plus en plus. C'est très violent. C'est devenu très violent. Elle ne me reconnaît plus du tout. Comme le dit un ami qui vit une histoire similaire avec sa mère : "Ne pas être reconnu par un être proche que l'on aime me semble une épreuve insupportable". De mon côté, j'oscille entre plusieurs états. Des moments de déprime, notamment quand je m'endors, quand je me réveille et quand il m'arrive de rêvasser dans la journée... Je ne peux alors m'empêcher de penser à ma mère et le vertige me prend devant sa disparition de l'intérieur. Je me réfugie dans les moments d'euphorie au travail : j'ai la chance d'avoir un emploi gratifiant, avec des élèves sympathiques et des collègues géniaux (et je n'exagère pas !). Je me défoule également quand je fais du sport. J'aimerais pouvoir en faire tous les jours jusqu'à m'étourdir et trouver un sommeil réparateur et puissant. Mais j'ai également l'impression d'être étrangement détaché, notamment quand je suis en présence de ma mère. Je fais comme si tout allait bien et je m'en veux de cette indifférence feinte, comme un signe de lâcheté ou d'inconscience.
Mais revenons au texte que j'avais écrit voilà un mois maintenant... Il a été publié dans le dernier numéro de "L'Université Syndicaliste" (L'U.S. pour les intimes), le journal du syndicat SNES-FSU dont ma mère a toujours fait partie et dont j'ai fait partie jusqu'en 2005 (je les ai quittés après leur appel à voter "non" au référendum européen). Il est également sur le site de Jérôme Pellissier que j'ai déjà eu l'occasion de vous conseiller... http://www.jerpel.fr/
Aujourd'hui, j'ai envie de vous faire partager quelques petits messages/témoignages de certains d'entre vous, évidemment sous forme anonymée, car ce sont des expériences personnelles et forcément douloureuses...
Tout d'abord, une copine infirmière... Attention, c'est terrible... "Mon cher Jean-François, tu es encore loin de toute la vérité sur la santé de nos hopitaux de France et de Navarre.... actuellement je travaille de nuit dans un établissement hospitalier pour personnes âgées et dépendantes... ici comme ailleurs... dès qu'un de nos résidents est malade la première réaction... elle ou il a quel âge ?... ensuite les urgences te suggèrent fortement de te garder ton résident et sa maladie, vu qu'elle est âgée... les médecins de la structure, eux, ne sont pas joignables... et le responsable, soit notre médecin, vient d'obtenir un poste de maire... donc passe en coup de vent... et là je ne donne qu'un exemple... mais c'est ainsi dans beaucoup d'établissements. Pour nos résidents "Alzheimer" nous devions obtenir du personnel... lol... oui nos hôpitaux et toute notre structure sociale et médicale sont en péril, la diminution du nombre de médicaments remboursés... la non prise en charge de patients de façon optimale car nous avons un système de plus en plus défaillant... bien.. sur ce, je te laisse... courage... et bonne continuation pour tout..."
Le message lapidaire d'une copine qui se destinait à devenir infirmière et qui y a finalement renoncé : "Tu comprends sans doute pourquoi il m'a été impossible de devenir infirmère ou aide-soignante, pas envie de participer à tout ça !!!!"
Un de mes amis... "Je profite d'un moment de calme pour te répondre et donner des nouvelles. Nous aussi, moi, ma compagne plus un collègue sommes hyper consternés par l'état de la santé en général dans ce pays... Ma compagne a une grand-mère qui est tombée " malade " de la tête d'un coup ( à 85 ans ) et qui est passée de structures en structures jusqu'à un centre hospitalier pour personnes âgées, mais au final, pour être bourrée de cachets, attachée sur un lit ou un fauteuil... Donc tu comprendras que nous aussi nous te soutenons face à pas mal d'injustice de traitement et face à autant d'adversité et de logique comptable... Mon collègue a sa maman qui a Alzheimer ; il a bataillé durant 3-4 ans avec son père et sa soeur pour trouver une maison d'accueil qui " accepte " sa maman qui n'a " que " 58-59 ans.......... enfin bon, que dire, que penser, de manière générale, dans ce pays, la fonction publique va " morfler " comme on dit... Ici, en Auvergne, la DRAC va voir ses subventions trés réduites puisqu'une de mes collégues a en charge son budget régional... et que dire des classes supprimées dans le primaire, d'ailleurs on en a l'exemple pour l'école de ma fille plus dans une autre maternelle. (...) C'est plus qu'effarant ce qui est en train de se passer dans le pays, tout est détricoté, on n'a plus de statut, c'est fini, mais bon, c'est pas pour ça que les dépenses de l'Etat sont réduites... Enfin voilà, en effet, tu as raison, c'est plus motivant d'attendre la sortie d' " Indiana Jones IV " ainsi que du dernier "James Bond"."
Une copine : "Ma grand mère, elle, trop vieille pour être soignée est légumisée au fond d'un lit car sinon, elle est trop bruyante et appelle au secours du matin au soir... La dignité n'est pas une valeur connue dans ce milieu là..."
Une collègue : "C'est monstrueux de lire "C'est l'hôpital de M. qui a décidé de ne plus accepter ma mère car elle ne rentrait plus dans les critères, elle devait désormais dépendre de "l'accueil", en sachant que le dit accueil n'existe pas à M. ... " : mais dans quel monde vit-on ? Quand on pense qu'il y a un plan national "Alzheimer" ! Mais tu sais, ce désengagement touche toutes les maladies, même "dangereuses" (je pense à celle du fils d'une collègue, qui souffre d'une maladie rare, non connue, qui touche essentiellement le psy et qui amène ce garçon de 30 ans à battre sa mère, à tout détruire !!!! Certains psys de Moulins ont même osé dire à ma collègue qu'elle s'était elle-même infligé des coups pour pouvoir se décharger de son fils... aujourd'hui après des années d'attente et de désespoir, son fils est enfermé en HP parce que ses cris dérangeaient les voisins...), et on se demande comment le monde médical peut en arriver à abandonner les gens dans le besoin d'une telle manière. Où commence l'abandon de l'Etat ? Où commence l'incompétence ?"
Enfin, un peu d'humour de la part de l'amie infirmière qui a rédigé un billet d'humeur noir, très noir... "Dans le système actuel les bienheureux seront les personnes qui adhèreront à : travailler plus pour gagner plus... Vite le cimetière ainsi vous serez rentables à cent pour cent !! et bientôt une petite prime pour la famille si vous ne passez pas par la case retraite, la case vieillesse, vous pourrez ainsi déclarer que vous êtes mort, "on" vous enverra le formulaire qui convient... mais bien sûr pour la prime... faut -il encore que cela soit de causes naturelles, sans passage par l'hopital car c'est trop cher pour la société : la santé a un coût et nous n'avons pas les moyens de vous prendre en charge... La retraite, au fait c'est quoi déjà la définition ?! Vous savez que vous cotisez pour la retraites de ceux qui y sont... la vôtre, la quoi déjà, nous n'avons pas les moyens de vous prendre en charge, ah mais au fait êtes vous à jour de vos taxes ?! Prenez soin de couvrir votre compte lorsque Monsieur l'Etat passe... quoi ? vous ne pouvez pas payer ? il faut vous débrouiller, c'est votre problème !... Vous nous comprenez... nous ne sommes que .... personne n'est plus responsable de rien, c'est l'ordinateur qui a fait une erreur, c'est l'autre (sans visage, sans vie...). Cette année va être l'année de l'action Alzheimer... Alors, Jean-François, il faut commencer d'ouvrir les yeux, lorsque l'on entend "nous allons nous en occuper"... nous ne voyons rien venir dans la réalité, c'est l'attente de "Soeur, ma soeur Anne ne vois tu rien venir ?!" du conte de Barbe-Bleue. Il faut, sans être pervers, décoder le message à l'envers : cette année, je parle des Alzheimer... mais avant je vais faire des commissions de ci de là pour voir (que pouvons nous faire). Le problème est déjà connu archi connu. Pendant ce temps rien de concret ne se produit, mais nous n'entendons pas trop parler de la recherche... des magouilles pharmaceutiques... de la Sécurité sociale... et autres choses : l'écran de fumée est en place... et beaucoup de Français, sont tellement absorbés par leur petite personne, leur petit lopin de terrain, leur petit pouvoir... car tout un chacun est embourbé dans sa propre dimension, ses propres soucis... bref... bienvenue dans la mondialisation, nous marchons tout droit vers le nouvel ordre mondial... où beaucoup de choses, de pensées, de personnes n'ont pas leur place... et seront éliminées d'une façon ou d'une autre... [comme lors de la canicule 2003]. Bon ce n'était qu'un petit délire de ma part..."
Ce dernier texte est peut-être bien noir mais il reflète tellement ce que nombre d'entre nous pensent... Pour finir sur une note de futilité... Je suis allé ce week-end voir "Sex and the City". J'aimais bien la série avec son ton corrosif qui avait pas mal fait d'effet lors de sa première diffusion... Le film est beaucoup plus sage... Il faut dire que les quatre copines new-yorkaises ont vieilli, elles ont la quarantaine (Samantha a même cinquante ans !). Elles se préoccupent désormais plus de leur vie de couple que de sexe. On a donc au final une comédie de moeurs plutôt drôle, parfois émouvante, bien qu'un peu prévisible. Les scénaristes ont eu l'intelligence de ne pas faire un épisode d'une heure trente mais de raconter la vie des quatre copines quelques années plus tard. C'est touchant et distrayant. Personnellement, j'ai un faible (comme dans la série) pour le personnage de Mister Big, même s'il a fait pleurer Carrie, notre diariste préférée. En tout cas, un bon petit film bien sympathique. J'ai également découvert, à la télévision, le film "Le Terminal" de Steven Spielberg... Tom Hanks y est parfait, comme toujours. La B.O. de John Williams est brillante. C'est une belle histoire, émouvante, un brin amère.
Tiens... au fait... dans "Sex and the City", la belle-mère d'une des héroïnes a la maladie d'Alzheimer. Mon père me faisait d'ailleurs remarquer que dans la plupart des films qui sortent le sujet est désormais évoqué, que ce soit chez un parent d'un des personnages ou que celà touche directement l'un des personnages. Bref, le milieu du cinéma vit à l'heure de son temps... Il n'y a plus que les politiques et les pouvoirs publics pour ne pas réagir devant l'ampleur chaque jour croissante de cette maladie... Il revient à ma mémoire la conclusion du film "La Haine" qui évoque évidemment toute autre chose... mais dont cette fin mémorable peut illustrer la fuite en avant que connaît notre époque dans de nombreux domaines (social, santé, environnement, etc...)... C'est l'histoire d'une société qui tombe et qui au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : "Jusqu'ici tout va bien, jusqu'ici tout va bien, jusqu'ici tout va bien."
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