vendredi 28 novembre 2008

Mon grand-père paternel


Voilà presque trois ans, en janvier 2006, j'avais écrit sur mon blog un texte sur mon grand-père paternel, André... Récemment, ma soeur m'a envoyé cette photo de mon grand-père, qui était sur le bureau de ma grand-mère Lucienne, de Nice. A cette occasion, je "rediffuse" ce texte...

Pour commencer cette nouvelle année sur mon blog, je voudrais - pour une fois - ne pas pas parler (trop) de moi mais d'une personne qui m'est très chère, de la personne qui m'inspire depuis des années, quelqu'un que je n'ai pas connu... puisqu'il est mort en 1967, trois ans avant ma naissance. C'est mon grand-père, André Pérès. Sa vie est un véritable roman. Je vais essayer, en quelques lignes, d'en faire un bref résumé, en espérant qu'il ne sera pas trop aride et qu'il parviendra à résumer l'attachement que j'ai pour cette personne.
Mon grand-père est né à la fin du XIX° siècle, ce qui n'est pas banal... Ses parents, Corses, venaient du village de Peri (à une vingtaine de kilomètres d'Ajaccio), d'où sont originaires les Peres (parfois orthographiés Perez ou Delle Pere). Comme beaucoup de Corses en ce temps-là, ils étaient partis au loin, outre-mer, pour trouver du travail, plus précisément en Nouvelle-Calédonie. C'est pour cela que mon grand-père est né sur un bateau... Vous pouvez pas savoir combien cette histoire (à la base amusante) m'a valu de soucis à l'âge de 18 ans pour prouver ma nationalité française... Mon grand-père passa donc sa petite enfance en Nouvelle-Calédonie puis la famille retourna en Corse et il termina ses études au Lycée Fesch à Ajaccio. C'est vers cette époque que se produisit un drame familial terrible. Mon grand-père était l'aîné. Il avait deux frères : Jean et Antoine, et une petite soeur. Ils devaient accompagner leur petite soeur chez le médecin pour la faire vacciner contre la tuberculose. La petite, qui avait peur des piqûres, leur demanda de ne pas l'emmener chez le docteur... Quelques semaines plus tard elle fut emportée par la maladie. Cette nouvelle bouleversa tellement la mère que celle-ci mourut de chagrin, dans les bras de son fils... A cette époque-là également, beaucoup moins triste, mon grand-père écrivit un livre intitulé "Corses et Gênois" qui contait un épisode de la Guerre d'Indépendance des Corses au XVIII° siècle. Cet ouvrage fut publié, mon grand-père avait alors seize ans. Hélas, il n'écrivit jamais d'autre livre. Enfin, il se dit que mon grand-père a eu un enfant avec une fille du pays, ce qui aurait précipité son départ pour le Continent et expliquerait le fait que, bien que viscéralement attaché à la Corse, il n'y soit jamais retourné... (Est-ce de là que vient mon "petit talent" pour l'écriture ? Peut-être. Ce qui est sûr, en revanche, c'est que c'est mon grand-père qui m'a communiqué, par delà la tombe, son amour pour la Corse.)
Vint le temps du service militaire. Comme beaucoup de jeunes du sud de la France, il le fit au fin fond de l'Algérie. Après le service, il resta à Alger où il fut critique de spectacles et de variétés dans un journal local. Arriva la Guerre 1914/1918 qui le traumatisa comme tous ceux de sa génération. Il réchappa par miracle à l'enfer de Verdun. Après la guerre, il partit comme journaliste à Bruxelles. C'est là qu'il rencontra sa première femme, plus jeune que lui, comme il se devait à l'époque. Elle lui donna trois enfants : Anne-Marie (ma chère tante et la marraine de ma soeur ; elle a quatre-vingt ans et toujours en pleine forme) ; Horace (qui a lui aussi écrit un peu, quelques nouvelles) ; Jeanne-Marie (qui vit à New York depuis plus de cinquante ans). A la même époque, mon grand-père, en vrai self made man des Années 1930, passa de la critique de cinéma aux métiers du cinéma. Il devint producteur délégué d'Universal Films pour la France, la Belgique et la Suisse. C'était l'époque où il était très riche, décapotables, virées, etc... Le bonheur ne dure jamais très longtemps. Sa première femme décéda à peine âgée d'une trentaine d'années, laissant mon grand-père seul avec trois enfants assez jeunes.
On est au milieu des Années 1930. Mon grand-père vit à Paris mais ses frères vivent à Nice et il va les voir pour leur demander assistance dans le choix d'une "nounou" pour ses enfants. Entre eux, ils parlent en Corse pour ne pas être compris... Une jeune femme de pas même vingt ans se présente... C'est Lucienne, une Niçoise, ma grand-mère... Mon grand-père dit à son frère "Aspetta !" (attends !), ma grand-mère comprit "Später !" (plus tard en allemand : elle était très germanophile)... En tout cas, il était intéressé. Elle s'installa avec lui et les enfants à Paris (elle était alors mineure). Après quelque temps, ce qui devait arriver arrive... Ils finirent par s'aimer... Une histoire un peu compliquée, vu l'âge de mon grand-père, plus de quarante-cinq ans... Il était plus âgé que ses beaux-parents ! Et les relations entre ma grand-mère et ses beaux-enfants furent toujours plus que houleuses... Ils se marièrent pendant la Deuxième Guerre Mondiale en toute discrétion. (Je ne sais pas si c'est de là que vient mon attirance pour les filles de moins de vingt ans ?)
La guerre ruina mon grand-père qui avait placé tous ses biens en Belgique qui se retrouve rapidement envahie par l'Allemagne. Comme tous les liens étaient coupés avec les Etats-Unis, il perdit son boulot et ses relations... Avec ma grand-mère, ils se réfugièrent d'abord dans la Catalogne française (d'où était le père de ma grand-mère) puis du côté de Nice. Mon père, André junior, naquit en 1945, à la toute fin de la guerre. Très vite, mes grand-parents se séparèrent et divorcèrent (ce qui était rare pour l'époque). Ma grand-mère partit pour les colonies avec un autre André. Mon grand-père vivota comme fonctionnaire municipal jusqu'à sa retraite. Mon père fut élevé par ses grand-parents maternels qui s'opposaient à ce qu'il voit son père, un mauvais exemple...
Les dernières années de la vie de mon grand-père furent assez ternes. Il vivait dans un petit appartement de Nice. Cela ne l'empêchait pas d'avoir toujours de nombreuses aventures. Mon père, ma tante mais aussi ma grand-mère me l'ont toujours présenté comme un séducteur impénitent qui multipliait les conquêtes (là, j'ai rien hérité de lui... je suis très souvent amoureux, certes, mais je conclue plus que rarement !!). Par ailleurs, il est plus que probable que, jusqu'à la fin, mon grand-père et ma grand-mère (à son retour des colonies) se retrouvaient régulièrement et s'aimaient toujours "malgré tout"... Il est décédé en 1967.
Depuis toujours, je pense à lui, d'abord parce que ma grand-mère et mon père m'en ont souvent parlé. Ensuite, parce qu'il m'a toujours fait rêver. Dans les Années 1930, il fréquentait les grands du cinéma. Il a écrit (et publié !) un roman à l'âge de seize ans. Il s'est battu en duel (c'était un escrimeur hors pair et un grand susceptible). Il a vécu des drames mais aussi de merveilleuses histoires d'amour. Il a voyagé. Il fumait des Chesterfield (ah ! un vrai point commun !). Il aimait les femmes.
Les mots rendent bien mal l'amour que j'ai pour cet homme que je ne connais que par quelques récits épars, divers et parfois un peu contradictoires... Je sais surtout qu'il est pour moi un modèle et une source d'inspiration. Grand-père, j'aurais tellement aimé te connaître.
J.-François Pérès, 3 janvier 2006 (un siècle exactement après la publication de "Corses et Gênois").

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