C'était un soir de juillet 2001... Dîner dans un restaurant au bord de mer à Erbalunga, la marine de Brando (la patrie de Paul Valéry), au sud du Cap Corse, à quelques kilomètres au nord de Bastia. Maria habitait à Erbalunga et j'étais venu de Luri...
Dîner bien sympathique, arrosé juste ce qu'il faut (du vin blanc frais, probablement un cru corse... en tout cas un délice qui se mariait bien avec les plats mais qui surtout nous avait fait prendre quelques couleurs mais quand même pas trop...). Maria. C'était ma collègue de français au Collège du Cap à Luri. Et j'étais, au fond de moi, amoureux d'elle. Elle avait été mariée, à un type du Continent, pour une histoire de rapprochement de conjoints. Un truc pas très romantique. D'ailleurs, pas de rapprochement et je crois même que le divorce était en cours. Maria... Maria... Maria... Tiens, on dirait une chanson de Léonard Bernstein !
Repas bien sympathique, donc. Et je ramène Maria au pied de son petit immeuble, le long de la départementale qui mène au Cap Corse... Nous discutons sous son porche... Elle me propose de monter prendre un verre. La lumière s'éteint. J'ai très très envie de l'embrasser... Qu'est-ce que je fais ? Je rallume la lumière et décline l'invitation : Demain matin, je dois prendre l'avion tôt pour Moulins, lui dis-je.
Idiot bête ! Imbécile (mal)heureux ! Arrivé à Moulins, qu'est-ce que je fais ? Je vous le donne en mille : je lui écris une lettre enflammée... Mais c'est trop tard. Bougrement trop tard. Quand je la revois en septembre au collège, elle me dit gentiment : Il faudra qu'on parle. On ne parlera jamais. Tant mieux. Parce que ce n'est jamais une partie de plaisir quand ça commence par "Il faudra qu'on parle" ! Et, dans les mois suivants, qu'est-ce que je fais ? Tel Chandler Bings (!) dans la série "Friends". Je lui enregistre des cassettes audios des chansons que j'aime bien et que j'espère elle aimera aussi. Ben dis donc. De mieux en mieux. J'avais quand même déjà la trentaine bien tassée. On fait ce qu'on peut. Evidemment, je n'ai jamais conclu avec Maria.
Je n'avais avoué cette occasion manquée qu'à ma copine Cathy, qui travaillait alors à l'école primaire en face du collège et avec qui j'allais parfois au cinéma et que j'avais aussi tenté de séduire mais tellement mal qu'elle ne s'en était jamais rendue compte et que même moi j'avais fini par ne plus m'en rendre compte. Cathy m'avait pourri en me disant que j'étais un imbécile fini. Et, en même temps (comme dirait l'autre), elle m'avait dit qu'elle même (qui sortait d'un veuvage pénible et très triste... mais un veuvage saurait-il être gai ? à part dans les opérettes viennoises) ne saurait pas comment elle aurait réagi si un homme avait tenté de l'embrasser, comme ça, sans prévenir...
Le temps a passé. Le hasard alors voulait que mon confident en Corse s'appelait Gilles. C'était mon collègue d'histoire, un des deux collègues avec qui j'allais voir les matchs de Bastia, l'autre étant Jean-Michel, pied noir né à Alger après l'indépendance et dont les parents étaient rentrés en métropole en 1972 (à se geler du côté du Mans) avant de partir pour la Corse, histoire de retrouver un climat un peu plus proche de celui de l'Algérie. Gilles était un ami de collège de Maria. Il la connaissait bien. Tellement bien qu'ils ont fini par se marier (je crois) et à avoir un enfant (ou plusieurs ?) ensemble (ça, j'en suis sûr : ils m'avaient envoyé un gentil sms à l'occasion). Bon, je me dis toujours qu'au temps de mes confidences Gilles et Maria ne se fréquentaient pas encore, pas encore intimement je veux dire... Ces histoires d'amour/amitié, c'est parfois un peu compliqué.
Pourquoi je repense à tout ça ? La semaine dernière, Marie, la meilleure amie de ma soeur, et la marraine de son deuxième fils, donc de mon deuxième neveu (vous suivez toujours ?), Marie, dont j'avais été (un peu) amoureux au cours de l'été 1997, faisait passer le Grand Oral au Lycée Mme de Staël. Elle est prof de SES au Lycée Banville (là même où j'ai passé mon bac et où j'ai occupé mon tout premier poste, avant de partir à l'armée... quel plaisir d'être accueilli par la proviseure qui m'avait mis en gros sur mon livret "Doit faire ses preuves à l'examen"...). J'étais en salle des professeurs, à piquer du café et du jus d'orange aux profs venus faire passer le Grand oral. Je sais, ce n'est pas bien... Là, une prof (bizarre d'écrire "une prof" ! c'est Marie, quoi !) me regarde fixement et s'exclame : Jean-François ! Certes. Et là elle continue de me fixer et me dit : Marie ! Et, là, inévitablement je dis : Oh p... ! C'est pas possible ! Je suis un poète ! Et des décennies nous explosent à la figure. Ma soeur a sept ans de moins que moi, Marie aussi. Je la connais depuis qu'elle et Nathalie (ma soeur) étaient au collège et au caté. Tout ça ne nous rajeunit pas.
Nous décidons évidemment de nous retrouver le soir pour prendre un verre. Nous allons à La Notte où nous ne prenons effectivement qu'un verre, tellement nous avons de choses à nous dire. Marie. La dernière fois que je l'ai vue, c'était un certain 3 août 2003 à Moulins, le jour le plus chaud du mois d'août le plus chaud... C'était le jour du mariage de ma soeur avec Ruprecht. Ils vivent ensemble en Allemagne, à Frankfurt, et sont tous deux profs de chimie et de français.
Marie ! On s'était surtout vus à l'été 1997... Au printemps de cet été là, j'avais présenté Rup à ma soeur. C'était l'époque où, de retour d'Ajaccio, je trainais avec les assistants de langue, Brett le Gallois, Dominic l'Anglais et Rup l'Allemand dont j'ignorais évidemment alors qu'il deviendrait quelques années plus tard mon beau-frère et le père de mes neveux. Au mois de juin 1997, les choses s'accélèrent. Ma soeur m'avoue qu'elle a plus qu'un sentiment pour Rup. Ok ! Je lance l'opération séduction ! Il reste trois semaines pour qu'ils concluent ! Et ça finit par arriver après moult péripéties co-organisées par ma soeur et moi. On doit se retrouver tous les trois pour aller courir ? Je suis absent au dernier moment. On doit se retrouver tous les trois pour aller nager ? Je vous laisse deviner la suite. Il n'y en avait qu'un qui ne comprenait rien. C'était évidemment Rup. Les garçons. On est bêtes, mais alors on est bêtes. Je crois que ma soeur a dû finir par le bécoter dans le grand bassin pour qu'il comprenne.
Tout aurait pu s'arrêter là. Ils vécurent heureux longtemps, comblés, et eurent beaucoup d'enfants. D'autant que c'est bien ce qui est arrivé, non ? Certes. Mais pas tout de suite. A son retour en Allemagne, Ruprecht fait savoir à ma soeur (en bon mâle pas toujours très courageux, je suis de la même espèce !) qu'il vaut mieux qu'ils en restent là. Après tout, leur histoire ne faisait que commencer. C'est vrai, quoi. C'est plus raisonnable de ne pas tenter une histoire impossible avec des aller-retours en train à ne plus les compter. D'autant qu'à l'époque internet n'existe pas... Ah oui... C'était la Préhistoire !
Juillet passe. Je suis occupé par Le Grand Bal de l'Europe à Gennetines. Une expérience plus qu'extraordinaire. Arrive le mois d'août. J'ai désormais le temps de m'occuper un peu de ma petite soeur. Elle ne va pas bien. Pas bien du tout. Elle se lève de table et part des heures entières sans dire où elle va. Ma mère commence à vraiment s'inquiéter. Moi aussi. Marie aussi. Je me dis qu'il faut qu'avec Marie on élabore une stratégie pour faire que ma soeur aille mieux. Rapidement, je me dis que ce sera une excellente occasion pour passer du temps, beaucoup de temps, avec Marie ! Et c'est ce qui arrive. On ira même valser un soir à la Fête de la Batteuse à Gennetines (encore Gennetines !). Le romantisme bourbonnais dans toute sa splendeur ! Bon, je ne conclue pas. Mais j'ai fait beaucoup rire Marie la semaine dernière en lui rappelant cette histoire. Maintenant, elle est mariée, elle a deux enfants, et surtout elle est la marraine de mon neveu. C'est la famille. Il y a prescription !
Retour à l'été 1997. On arrive en septembre. Ma soeur, finalement, et contre toute attente, et contre tous nos conseils à tout le monde, ma soeur, donc, décide d'aller en Allemagne pour voir Ruprecht. Tu veux me quitter ? Ok. Dis le moi en face. La suite ? Ils se sont mariés en 2003 et ont deux beaux garçons et j'adore mes neveux ! Et j'ai toujours leur porte-bonheur avec moi : un playmobil au gilet sans manche, comme tonton.
Et Marie ? Je ne l'ai plus revue jusqu'au mois d'août 2003. De mon côté, en 1999, j'ai quitté une nouvelle fois le Bourbonnais pour la Corse. Cette fois-ci direction le Cap Corse où , soit dit en passant, j'ai passé les cinq plus belles et plus riches années de ma vie (sortez les violons !).
Et Marie ? (bis) Ben, la fois suivante où on s'est vus, c'était donc la semaine dernière, fin juin 2023, soit près de vingt ans plus tard. Je me suis, ce soir là, confié à Marie, comme je ne m'étais jamais confié à personne. J'ai dû certainement la soûler. Nous avons aussi et surtout beaucoup ri et constaté le temps passé et surtout le chemin parcouru...
Parmi les histoires que j'ai racontées à Marie, il y a eu évidemment, et en première place, cette soirée à Erbalunga, marine de Brando, avec Maria... La vraie occasion manquée, comme seuls les garçons sont capables d'en faire. Celle que même dans les films ils ne montrent plus, pour ne pas démoraliser la population. Résultat, le week-end suivant, j'ai rêvassé en repensant à cette soirée à La Notte, ces confidences... et la musique du film "Rain Man" m'y aida beaucoup. Au temps où je la fréquentais, c'était le disque préféré de Maria. C'était d'ailleurs le disque préféré de toute notre génération. Après avoir vu et revu le film, on écoutait et réécoutait les plages de chansons à dominante nostalgique. Et, parmi ces chansons, deux compositions exprès pour le film, qui allaient faire date. C'était la première bande originale américaine d'un compositeur allemand alors totalement inconnu, un certain Hans Zimmer... En 2023, à Montluçon, j'assistais à un fabuleux concert en hommage à son oeuvre. Il est désormais aussi sinon plus populaire qu'Ennio Morricone et John Williams réunis ! Là aussi, le temps a passé...
Et voilà. Maria... Marie... La vie est parfois pleine de surprises. Et elle continue de nous surprendre. Pour le meilleur et, espérons le, pour le rire.
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