jeudi 12 janvier 2006

La Semaine très ordinaire de Nino R.

Bon, foin de mes histoires du moment, et en attendant mon autobiographie (clin d'oeil à Gérard !), voici un texte que je promets depuis des mois de mettre en ligne... une petite nouvelle rédigée en 1992 et que j'ai tapée sur ordinateur en octobre 2005... C'est particulier mais j'y tiens beaucoup... Bonne lecture !



LA SEMAINE TRES ORDINAIRE DE NINO R.

Comédie dramatique en une – courte – saison écrite par

Jean-François Pérès



La sombre histoire d’un garçon… Malhabile et désordonné, il se ballade en sifflant dans les rues d’une ville dont nous tairons le nom, une ville où tout est si laid qu’on en trouve les habitants – presque – sympathiques. C’est le soir. Le garçon, seul bien sûr, rêve de cinéma. Mais il est sans le sou, tandis que son créateur ne pense qu’à choisir un placement avantageux. Notre garçon, on va l’appeler Nino… à cause de Nino Rota ! Les mains dans les poches, il regarde les passants… Un couple qui s’embrasse sous un réverbère : les amoureux, tous des exhibitionnistes ! Une vieille qui râle après son chien car Médor ne « fait pas assez vite » sur le trottoir. Une bande de jeunes, forcément cons puisqu’ils sont une bande.

Et voilà Nino de retour chez lui. Pas très chaud, le studio ! Il s’allume un mégot de cigare… Faut économiser les restes de tabac. Il ouvre une bouteille de bière bon marché et se sert une lampée. Tiens… la rue est bien calme ce soir. All is quiet tonight ! car c’est si joli en anglais, ça fait comme une rengaine pop… Nino est soûl… non, pas encore. Il est ivre de cette liberté qu’il découvre. Il pense à Sonia, cette jolie fille qu’il a vue il y a peu… Elle est belle, et inaccessible comme de bien entendu. Mais qu’importe ! La vie n’est-elle pas ce qu’elle est ? Voilà une réflexion qui l’amuse. Il sourit. C’est presque charmant. Pourquoi pas ?

Nino ne tient plus. Il a envie de sortir ! Coup de fil à Jack… C’est pas son vrai nom, à lui non plus, mais amoureux de « Furyo », il se prend pour Jack Cellliers… Le type que les remords démangent, des remords fictifs. Mais, bon, quand on n’a pas la chance d’être acteur, on se fait son film… acteur, réalisateur, compositeur… et tout, et tout. Séquence trois, hop ! tout va ! Et on retrouve nos deux compères, Nino et Jack donc, au bar du coin. Un bar paumé, bien sûr. Le blanc-cassis n’est pas cher et il réchauffe les cœurs égarés… On y cause fort tard. De tout, et de rien surtout.

Le lendemain. Le matin. Une petite brume pas désagréable. Nino part à la Faculté, histoire de devenir une personne bien élevée. Il suit le cours avec attention, et note bien tout ce que dit son auguste professeur. Il prend quand même le temps pour chuchoter à ses voisins de table son escapade nocturne, histoire d’égayer leur monotonie de premiers de la classe, surtout que c’est lui, le meilleur étudiant. Il le sait, il le sent, il s’en contrefiche ! Le cours est passionnant et Nino se dit qu’il aimerait en parler à tout le monde, à Sonia surtout. Mais l’écoutera-t-elle ? Qui d’ailleurs serait intéressé par la conquête de l’Indonésie par la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales… Sacré décalage entre la réalité et la Faculté ! ce n’est point pour déplaire à Nino, qui se sent bien dans les nuées, mais il s’y sent un peu seul. Quand même !

Retour at home. Il fait gris dehors. Nino écoute une musique de film… Il rêve les yeux ouverts. Il n’est déjà plus avec nous sur terre.

Un clown tente de séduire une belle enfant en faisant des bulles avec ses rouges lèvres. Les spectateurs sont émerveillés. Vient l’Auguste, à l’œil triste. Puis c’est Charlot, en ange… Ce joli monde virevolte autour de Sonia et lui fait une jolie révérence. Bonsoir Messieurs Dames ! Un policier, bête mais pas méchant, nous cause bien des tracas. Guignol l’assomme gaiement, sous le regard amusé des petits enfants.

Nino se secoue… Voyons ! Quelle heure est-il ? Il déguste une boîte de conserves périmée avant de s’allumer une cigarette… Miracle ! Aujourd’hui, il a pu économiser pour s’acheter un paquet ! Et ce sera une soirée consacrée à l’étude… Pour finir, un bon verre de Whisky bien glacé. Enfin, le Whisky est plutôt chaud, ou tiède, mais faut bien s’illusionner. Et Nino s’endort paisiblement en regardant la photo de Sandra, car il n’en a pas de Sonia. On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a ! Et tralalahila !

Le deuxième matin. Le deuxième matin de notre histoire, bien sûr. Ce matin, Nino fait la grasse matinée (grasse, façon de parler !) en écoutant de nostalgiques ballades italiennes. Et il repense à Sandra ce matin. Sandra qui est si loin. Il ne l’a pas vraiment connue, mais il la pleure déjà, en rêvant de Sonia. Deux amours de cristal, deux amours qui n’existent pas…

C’est le soir. Nino est triste. Le bar est vide. Non, en fait, il y a du monde, qui chante. Mais Nino est seul, au comptoir. Et croyez-moi, c’est pas vraiment gai de se soûler sans avoir un ami avec qui s’épancher… Mais qui voit-il ? Non, pas Sandra… C’est, bien sûr, Sonia. Et Nino lui propose de prendre un verre avec lui. L’alcool, comme pour tout un chacun, l’a rendu moins timide.

Ils se parlent. Ils échangent anecdote sur la même petite ville dont ils viennent tous deux. C’est la fête ce soir ! Ils ont décidé d’aller se balader sur les quais… Enfin, c’est une façon de parler. Il n’y a pas de rivière ici. C’est une ville sans une âme, une ville sans rivière ! Alors, ils se promènent le long du parc. Fermé, bien sûr, le parc. Mais qu’importe ! Il faut bien passer le temps. En fait, Nino s’ennuie un peu avec Sonia. Elle n’est pas si intéressante que ça ! Mais trêve de mesquineries… Nino se décide à prendre la main de Sonia. Bien sûr (ô fatidique bien sûr !), elle repousse sa main. Et Nino, idiot, n’insiste pas. Tandis que Sonia le voyait déjà la déshabiller dans l’intimité de son petit meublé. Ah ! Que tout cela serait sordide si ce n’était risible !

Il est tard . Nino est retourné au bar. Il s’ennuie ferme. Où est passée la promesse d’une soirée sans fin ? Il appelle Sonia… Dormirait-elle déjà ? Elle finit par lui répondre. Ils échangent de quelconques banalités. Et les voilà enlacés. Il la déshabille, comme elle le souhaitait. Ils finissent par s’aimer sous le ciel étoilé de son petit meublé.

Troisième matin. A la Faculté, Nino ne pense plus qu’à sa nuit passée. Il est quelque peu déboussolé. Mais que penser ? Et à qui tout raconter ? Il sent sa gorge se nouer et se met à pleurer. Ses camarades n’osent l’écouter et ne songent qu’à le cours noter. Vient l’heure de la pause et Nino, morose, s’allume une cigarette. Il est pensif et plutôt évasif. Maintenant, que faire ? Il se décide à noter les sermons de son auguste professeur tandis qu’il illustre son cours de satiriques mais innocents dessins. Lui prend soudain un fou rire que même la décence et le respect des institutions ne sauraient réprimer. Nino provoque un éclat de rire généralisé. Même le professeur ne peut résister. Et la studieuse journée s’achève dans une joie non voilée.

Et la vie continue… Ce soir encore, Nino prend un verre dehors. Il est tout guilleret. Et son ami Jack, d’habitude si rabat-joie, partage sa folle gaieté. La cigarette de haschich qu’ils ont ensemble dégustée y est probablement pour beaucoup. Et qu’importe ? La morale les réprouve mais ils s’en foutent plutôt. Ils n’ont qu’une envie : fuir, fuir, encore fuir… Ils décident, sur un serein coup de tête, de mettre un terme à leur monotone et terne quotidien. Non, pas de solution radicale. Ils vont à la gare et prennent un billet de train. Départ pour une autre ville…

Quatrième nuit. Les gares défilent, encore plus lancinantes que cette ville sans nom et sans rivière… Les voilà à destination… et quelle destination… C’est le Sud ! Il est peut-être trois heures du matin mais il y a toujours du monde dans la rue. Ça chante, ça crie… La Dolce Vita ! Et, inexplicable coup de théâtre, Nino aperçoit Sandra au détour d’une rue. Jack, écoeuré, repart pour la ville sans nom…

Quatrième matin. Nino est assis à côté de Sandra. Pour elle, tout va bien : elle a une jolie décapotable. Et, chez elle, tout est joli. Ses seins fermes, ses lèvres fines, ses cuisses mirobolantes, tout cela appelle au désir et Nino ne sait résister. Fou, il l’embrasse, elle le repousse. Et le voilà sur le bas-côté à maudire le Destin. En plus, un frelon vient de le piquer. Et il fait chaud… Ah ! le Sud ! Bonjour la haine ! Mais Sandra revient. D’ailleurs, en fait, elle s’appelle Anita. C’est quand même pas sa faute si Nino est encore saoul !

Anita et Nino vont déguster un Pan Bagna sur la plage. Partout, des corps s’enlacent. Un Puritain en crèverait, de voir tant de fesses à l’air !!! Ici, on porte le maillot plutôt léger… C’est un hymne à l’amour… Et des adolescents jouent au ballon… les cochons !

« Nino !... Nino !... réveille-toi ! ». Jack secoue gentiment Nino. Son ami, les yeux embués par l’herbe et l’alcool, émerge enfin. Il est sept heures du matin. Il ne se souvient de rien. Et Jack lui explique : il a rejeté Sonia en disant qu’il ne vivait que pour Sandra. Ça, les filles, elles n’apprécient pas !

Quatrième matin… Le vrai, cette fois. Nino, complètement dessoulé après trois séjours intempestifs aux toilettes et deux Cappuccino bien serrés, se décide à appeler Sonia qui, comme de bien entendu, n’est pas là. Dix heures, il commande un blanc-cassis, puis un deuxième, puis un troisième. Bonjour la déchéance du héros ! Mais il s’en fout : il se sent bien. Il vient de passer une nuit épique, pour lui épique, et c’est ce qui compte.

Au Juke-Box, une chansonnette des temps passés… Et c’est la magie de la musique. Nino se met à danser dans le bar miteux face à de vieux alcooliques emmitouflés. Et c’est la valse des « de mon temps », « y a plus de jeunesse », et autres refrains effrayants. Nino, jeune déluré, ne réalise pas que ces vieux cons vont l’assassiner. Ou il le réalise trop bien. Alors, dans un sursaut, il les invite à partager son intensité. Spectacle incroyable : tout le monde du petit troquet aimablement nommé « Les Édentés » se met à s’enflammer. Un jeune roquet a pansé les plaies. La musique a fait le reste.

Il est midi passé. Nino, quelque peu abruti par tant d’événements, n’a qu’une envie : aller se coucher. Fondu enchaîné. Et Nino se retrouve, ensommeillé, à la fin de l’après-midi… Il a envie de tout raconter, mais à qui ? Il est là, face à la page blanche, et il se sent seul, désespérément seul… La musique le tire de son angoisse pour le plonger dans une sombre démence. C’est le moment des tristes réflexions. Rien ne va plus. Et Nino attend impatiemment la prochaine sortie.

Sixième soirée. Car, la veille, Nino a préféré rester seul, il avait eu sa dose – bonne dose ! – d’émotions. Ce soir, Nino sonne chez Sonia. Il est dix heures. Les cloches résonnent dans la nuit froide. Sonia daigne lui accorder un entretien. Nino explique… il avait bu, il n’était plus lui-même : la même explication classique et fort lamentable ! une lâcheté typiquement masculine. Sonia, amoureuse, accepte ses doléances. Ensemble, ils vont à la frontière de la ville sans nom, en banlieue, là où une petite rivière coule… Tout y est si simple ! Mais Nino ne sent pas son bonheur. Plus tard, il regrettera cette soirée sur les rives désertes de la rivière… Pour le moment, violent, il arrache les vêtements de Sonia et, dans la nuit glacée, lui fait le coup des vieux amants. Nus, ils s’abandonnent au mirage du sexe.

Mais tout ne s’arrête pas à une coucherie ! Ce soir, c’est Noël. Sonia, pragmatique femme, a prévu le Champagne. Et tous les pochards de la campagne en profitent pour rappliquer ! On fait un feu, on boit beaucoup, on brûle un mouton… Ah ! Y a plus de saisons ! Des couples se forment et se déchirent, au son des violons. Ça fornique de partout. Nino, pourtant obsédé de la fesse, en est écoeuré. Il pleure, tandis que Sonia lui fait quelques gâteries. Les violons se sont tus. C’est l’heure des poisons. Et Nino fume beaucoup de Haschich. Il boit aussi pas mal de Bière. Où est passée la pureté ? la naïveté ?

Jack… tiens ! on l’avait oublié ! Jack, comme par hasard, est là ce soir. On ne saurait manquer la sixième ratée ! Et, autour du feu de camp, les boy-scouts dépravés courent partout !... Mort aux complexes ! Jack et Nino se livrent à des jeux malsains, en sifflotant « Jingle Bells »… Les coquins ! On parle, on parle, et ça brûle les âmes charitables. Le traîneau de Father Christmas dépasse celui de Santa Claus dans une course endiablée…

Sixième matin…Nino a peur. Où est-il ? Ne devait-il pas prendre un train pour rentrer chez ses parents, dans une autre ville sans nom mais où – là- au moins il y avait une belle rivière. C’est ainsi. On n’y peut rien faire.

Gâchis. Putain de gâchis. Encore une semaine de gâchis. Allons donc ! Ce soir, Nino va s’embrumer au bar des paumés, des ratés. Ce petit-bourgeois va s’encanailler avec les fripouilles des bas-quartiers…

Et Nino fait le compte… Il se souvient… Le feu craquèle dans la cheminée du paternel. Ici, tout est si calme : all is so quiet ! Voyons. Nulle crainte extérieure. Le mal est bien à l’intérieur. On est bien parti pour un voyage au sein du monde trafiqué et névrosé de demain, celui que Papa voyait comme un p’tain de lendemain qui chante. Il pleut sur la ville et Nino, larmoyant, prend le ciel à témoin. Le monde est cruel ! Pire qu’un sac poubelle !

Mais la musique du film de sa vie entraîne Nino. Inexorablement. Il allume une cigarette dans la rue des souvenirs. Sandra… Sandra… Où es-tu ce soir ? Ce serait si simple que tu viennes à moi, fondu enchaîné, on est sur la plage, au soleil couchant, les mouettes gueulant.

Le monde tourne mais Nino se détourne. Un petit Casanova des bacs à sable. Le soir venu, il s’habille tout de noir et plonge dans les frayeurs des braves gens. Un vampire d’aujourd’hui qui suce la sève de nos vies. Il s’éprend de la Mort afin de conjurer le sort. L’acte final n’est plus très loin. L’araignée se rapproche de l’airain. Et court le cheval dans la pénombre. Nino, cavalier noctambule, écume une dernière fois les bars du vieux bazar. Il ne regrette qu’une chose : Sandra ne lui a jamais donné de baiser.

Dans la grotte où il repose, Nino a le cœur ouvert. Il saigne de la vie qu’il n’a su avoir, de l’amour qu’il n’a su donner. Un instant magique… Les lèvres de Sandra se joignent aux siennes… Mais le Commandeur veille !... Le voyage prend fin. Le lapin est abattu, sauvagement, par le chasseur qui a faim. Faim de sang. C’est l’extase. La Mort est venue. La Mort est partie. Adios donc ! Ultime requiem, ridicule en un tel moment.

Nino n’est plus. La Néo-Décadence l’a brûlé définitivement… Huitième soir. Père sait que Nino n’est plus. Demain, c’est l’enterrement. Et le mot fin me brûle les mains… Adieu donc ! Et à demain !

Clermont-Ferrand, le 2 novembre 1992.


Petites explications… J’ai donc écrit ce texte en 1992… Heureux temps où j’étais mince et beau, presque marié à Sophie… Mais, bon, tout n’était pas si rose… Sandra, c’était le nom de mon amour de quand j’étais adolescent. Sonia, j’en ai pas connue. C’était probablement un mix d’Isabelle, Nathalie, Sophie… mes trois histoires de quand j’étais un jeune homme. La ville sans nom et sans rivière, c’est bien sûr Clermont-Ferrand où j’ai fait mes études. La banlieue avec une rivière, c’est Aubière où j’ai effectué en 1992/93 mon stage de CAPES. L’autre ville sans nom avec une rivière, c’est évidemment Moulins-sur-Allier, la ville de mon enfance et de mes années lycéennes. Jack, c’est peut-être Christophe D., mon condisciple de Faculté d’Histoire, un type étrange qui ressemble vaguement à Houellebecq, un gars dont j’ai perdu la trace depuis plus de dix ans. J’ai retapé ce texte, sans toucher même une virgule (surprenant de constater que, treize ans après, j’écrirais exactement les mêmes phrases) dans la nuit du 14 au 15 octobre 2005. Depuis ce court récit, rédigé en 1992, je n’ai rien écrit sinon quelques insipides poèmes et une récente tentative de blog. J’espère que l’inspiration reviendra, même si je sais qu’elle est synonyme, pour moi, de torture… J’espère aussi, bien sûr, chers lecteurs, que ce texte ne vous aura pas trop ennuyés et vous aura fait percevoir le « glauque » (comme avait dit un ami d’alors, Jérôme B., fan de « Twin Peaks ») de la vie d’un étudiant ordinaire dans les Années 1990 au cœur de la France profonde…

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bravo pour tes talents d'écrivain! Belle histoire que celle-ci, empreinte d'un certain mal-être et d'une mélancolie plutôt douce à lire... Bravo, j'ai beaucoup apprécié!

Anonyme a dit…

Effectivement on sent le fan de cinéma et de musique de film, il y a plein de références cachées un peu partout ! bravo pour cette nouvelle pleine d'imagination ! ;)